PETIT DIALOGUE
Au sujet du Jardin du ci-devant Evêclié, etc.
Pierre.
Paul.
Pierre.
Paul (tin )mi dépilé).
Pierre (hochant la tête et d'un air plaisamment
solennel.)
Paul.
Pierre.
Paul.
Pierre.
Paul.
Pierre.
Paul.
Pierre.
Paul.
Paul.
Pierre.
Paul.
Pierre.
Paul.
Pierre.
EWTRE
PIERRE ET PAUL,
HAB1TAKS D'TPRES
Hé bien, mon cher Paul, que dites vous mainte
nant de la décision du conseil de régence, au sujet
du jardin de l'évêché?
Hé bien, je dis, comme j'ai dit et répété, des le
principe, mon cher concitoyen, que la régence
a agi fort sagement, fort judicieusement, selon la
règle de ses devoirs qu'elle a agi en bon père de
famille en zélé tuteur, puisqu'en décidant, que le
terrain sera vendu, elle enrichira le trésor mu
nicipal; qu'en décidant que dix h douze belles
maisons seront bâties elle embellira la ville, et
l'enrichira en même temps; tandis que les taxes
municipales y trouveront aussi leur compte, et
déjà les ouvriers bâtisseurs, et les marchands de
matériaux de toute espèce, se réjouissent de cette
décision.
Hé, hé, vous me faites rire il est bon lh le cher
Paul avec sa vente, ses nouvelles maisons, son enri
chissement. 11 s'agit bien de cela maintenant.
Vous n'avez donc pas lu les journaux de cette
ville sans quoi vous y eussiez vu qu'il n'est plus
question de la décision que vous extollez tant;
elle est h vau-l'eau celle la, c'est bien d'une
autre qu'il s'agît. La régence vient de statuer
que maintenant on ne vendra pas, qu'on ne bâtira
pas, et qnc le jardin de l'évêché sera érigé en
promenade publique.
Je n'en crois rien, cela n'est pas, cela ne peut
être de quel droit la régence enleverait-ellea la
ville un bénéfice matériel immanquable.
Du droit qu'un esprit vaste, et ferme en ses desseins,
A sur l'esprit grossier des vulgaires humains.
Bon, voilk du phébus sonore a la vérité, mais
nullement légal car je ne vois nulle part qu'une
administration ayant fait une chose évidemment
avantageuse a la ville, ait le pouvoir de la lui ravir
ensuite, et ce n'est pas faire preuve de fermeté
que de prendre une résolution aujourd'hui, dia
métralement opposée h celle solennellement adop
tée il y quelques mois.
L'administration n'a fait en ceci que se rendre
aux vœux de la bonne société, et en voulant
ériger en parc, le jardin de l'évêché, elle n'a fait
que suivre l'exemple des grandes villes.
Soit. Mais en agissant ainsi l'administration
pourrait bien s'être rendue applicable la fable de
la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le
bœuf, ou bien celle du corbeau, voulant imiter
l'aigle. Car les grandes villes possèdent mille
ressources que n'ont point les petites les grandes
populations des premières, offrent continuellement
une société d'élite ayant le loisir et le goût de
fréquenter la promenade publique spéciale, tandis
que celle des secondes est si restreinte, si minime,
qu'elle ne peut raisonablement occuper la solli
citude particulière de l'administration, au préju
dice du reste de la population.
Mais mon cher Paul vous n'y pensez pas, tout
le monde sera admis indistinctement, dans le
parc projeté.
Je pense en effet qu'on ne sera pas difficile sur
ce point, mais vous conviendrez que d'habitude,
ici comme ailleurs, la distinction se forme d'elle
même. L'ouvrier, le prolétaire s'abstient de se
mêler la société choisie et parée; par la bonne
raison qu'il ne peut y figurer selon ses goûts et ses
usages; de sorte, que l'administration se résoudra
h des sacrifices énormes pour procurer quelque
agrément a une très mince fraction de la popu
lation.
Des sacrifices, des sacrifices ne dirait-on pas
que la ville va s'obérer en transformant en parc
public, un jardin h elle appartenant.
Je ne veux pas dire précisément, que la ville
s'obérera d'une manière ruineuse; maisj'ai entendu
faire le compte par un bon calculateur de ce que
la ville perdra en exécutant son nouveau projet;
et le résultat de ce compte est si considérable, que
je craindrais de paraître exagéré en le répétant.
Je préfère, que vous en fassiez vous même le
calcul, en évaluant consciencieusement la valeur
du terrain. Les dépenses que nécessiteront les
travaux exigéspour donner h votre terrain au
moins une apparance qui ne soit ni ridicule ni
mesquine, l'entretien annuel de ce parc, les gages
des jardiniers, ceux des gardiens, etc, etc.
Il y a une manière de faire les choses. Tout
cela peut s'arranger par des moyens économiques.
Paul.
Quel que soit la parcimonie dont on pourra
user toujours est-il que cela entraînera a des dé
penses, pour un objet de pur agrément, et cepen
dant en bonne règle administrative, on ne peut
employer les deniers de la ville, a un objet
d'agrément qu'entant que cet objet puisse être
considéré comme accessoire d'une chose utile.
Pierre.
Hé bien n'est-ce pas chose utile pour une ville
que d'avoir sa promenade publique
Cela est vrai pour toute ville, privée de localité
pouvant servir de lieu de promenade, mais
Ypres où, s'il vous plait, il n'en manque pas,
puisque nous avons les remparts, l'esplanade,
la plaine d'amour (dont les bas fonds sont sur le
point de s'emplir des extractions des décombres de
l'Ypcrlé), ce serait une prodigalité que d'en créer
h grands frais, une nouvelle qui n'aura pas la
vingtième partie en étendue de la plaine d'amour.
Pierre.
Mais vos remparts, votre esplanade, votre plaine
d'amour, sont des lieux excentriques et déserts où
personne ne voudra aller.
Vous plaisantez avec votre excentricité, dans
une ville comme la nôtre, où moyennant quelques
centaines de pas on se porte partout où l'on veut
être; et votre observation est d'autant moins
admissible que la plaine d'amour est a cent pas
du jardin de l'évêché.
Quant a la solitude que vous attribuez a cds
localités elle est la même qu'en beaucoup d'autres
endroits de cette ville quand il n'y rien qui
y attire le monde. Placéz soit aux remparts, soit
a l'une ou l'autre plaine, un corps de musique et
tous les habitués s'y porteront; la solitude cessera.
La cessation de la solitude dépend de la volonté
des habitans, et certes on ne dira pas que le local
de la plaine d'amour n'ait offert un liés beau uti
très animé tableau h la tuyndag ibio lors du
tirage a la petite arbalète.
Faites entendre cela h la jeunesse qui com
pose la société élégante.
Elle est trop douée de jugement pour ne pas
comprendre qu'une administration ne peut dé
penser l'argent de l'administré sans urgente né
cessité elle connaît comme tout le monde
l'axiome trivial, mais vrai, que la ville est une
pupille dont l'administration municipale est le
tuteur, et que ce que ne peut celui-ci, celle-là ne
le peut pas non plus, or, si un tuteur pouvant
disposer d'un fonds d'héritage valant 25 a 5o
mille francs appartenant h son mineur manquant
de plusieurs objets de grande nécessitéallai t
cependant convertir ce fonds d'héritage en un
jardin de plaisance et de pur agrément que pour
rait on dire d'une pareille gestion?
Vous allez trop loin, Paul, la parité n'existe pas,
la ville ne manque pas d'objets de grande nécessité.
N'a-t-elle pas ses belles casernes, son superbe
manège, ses nombreuses et commodes écuries que
voudriez vous de plus?
Vous avez tout oela j'en conviens volontiers,
mais vous n'avez pas, ce qu'on peut appeler un
hospice pour les aliénés. Le local servant main
tenant h cette destination est un véritable bouge,
un taudis dont l'existence outrage l'humanité.
D'autant plusrévoltant que ces ignobles niches sont
presque en contact, avec de belles et confortables
écuries; au point qu'on peut dire que les bêtes
sont logées comme des hommes, et les hommes
comme des bêtes.
Nous y voilk. Les aliénés, les aliénés c'est
l'éternel cheval de bataille des frondeurs, pour
combattre toutes les dépenses d'agrément que