JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
No 2665.
26me année.
7PF.ES, 19 AVRIL.
Les travaux de construction de la nou
velle église de S'-Nicolas en cette ville sont
repris, et avancent avec rapidité. Déjà
l'encadrement en pierre bleue de la porte
d'entrée est placé, les colonnes séparant les
nefs sont debout, et la maçonnerie sera
terminée dans le cours de la saison; sauf
la tour, qu'il ne sera pour le moment pas
possible d'élever au-dessus du vaisseau
principal, faute de fonds, moins qu'il ne
rentre de nouvelles offrandes. On peut au
reste espérer que la générosité des habi-
tans de la ville, des environs et de la pro
vince, ne se démentira pas en cette insigne
occurrence. Qui le croirait? Les seuls pa
roissiens de S'-Nicolas ont déjà contribué
la souscription pour vingt quatre mille
francs. De médiocres bourgeois, d'honnê
tes artisans ont voulu s'imposer des sacri
fices pénibles. Dieu le veut! et cet abandon
la providence, encore populaire parmi
nous, dissipe les hésitations d'une trop
soucieuse parcimonie.
La construction de l'église de S'-Nicolas,
qu'on l'entende bien et au loin, prend dé
sormais un caractère véritablement natio
nal. Elle coïncide avec la promulgation de
l'importante loi du 23 septembre 4842 sur
l'instruction primaire, cette constitution
de la race naissante, et en sera le monu
ment commémoratif. Il aura les formes
sveltes et gracieuses, comme cet âge heu
reux que protège son patron. De la gravité
au mausolée qui Bruxelles rappelle les
combats qui enfantèrent l'indépendance;
de l'élégance et l'expression d'une suave
harmonie, au temple qui transmettra
nos arrière-neveux le souvenir de l'accord
inespéré de nos législateurs dans une oc
casion si délicate.
Un appel donc tous les coeurs qui
furent jeunes ou qui le sont encore pour
l'amour de S'-Nicolas! N'est-il point, sans
acception d'opinions, l'antique et vénérable
patron de la génération sur qui repose
l'espoir de la patrie? Ne lui devons nous
pas tous quelque reconnaissance pour nos
étrennes d'autrefois? Et la jeunesse, con
damnée peut être perpétuer un jour nos
dissentions politiques, devra-t-elle se con
vaincre que nous sommes si profondément
divisés, que nous ne pouvons pas même
nous réunir pour offrir un holocauste la
concorde si désirable et si difficile? Nous
livrons ces questions la discussion du
budget des familles.
On remarque avec peine que le hangard
des francs-inaçons offusquera complète
ment la vue de l'édifice en venant de la
Grand'Place, c'est-à-dire dans la direction
principale. Il est permis de croire que ces
messieurs, dont les hochets favoris accu
sent un instinct architectural, ne seront
pas des derniers reconnaître l'incon
gruité de leur voisinage.
MM. les Prud'hommes ne discontinuent
pas de déployer la plus louable activité
dans l'exercice bienfaisant de leurs fonc
tions. Us viennent de publier un arrêté qui
ne tend rien moins qu'à déraciner la
vieille et inqualifiable habitude qu'ont la
plupart des ouvriers de chômer le lundi
comme on le voit l'entreprise est sérieuse,
elle frappe au cœur la paresse et l'ivrogne
rie. Nous félicitons les Prud'hommes de
leur hardiesse; le concours du clergé, de
la presse raisonnable, et de tous les maî
tres d'ateliers bien pensans ne pourra leur
manquer. Mais le pouvoir communal, tout
absorbé dans les décombres de l'Évêché,
ne pourrait-il pas également manifester
avec fruit sa vitalité, en prenant quelque
mesure répressive et de police contre
l'ivresse scandaleuse? Il seconderait ainsi
dans un but hautement moral des efforts
d'autant plus dignes d'élogesqu'émanant
d'un zèle spontané et non salarié, ils ne
reçoivent leur juste rémunération que par
les témoignages de la gratitude publique.
Caumartin, avocat de Paris, qui dans
les salons d'une actrice Bruxelles, a oc
casionné la mort de Sirey par l'emploi
d'une épée cachée dans sa canne, vient
d'être acquitté par le jury du Brabant. Il
paraît que Sirey s'est enferré lui-même en
se précipitant pour saisir son rival. Beau
coup de personnes s'étonnent que l'on n'ait
ni posé, ni discuté, ni même soulevé la
question de meurtre involontaire par im
prudence ou inobservation des règlements
(C. Pén. 319), délit que fesait ressortir la
circonstance seule que Caumartin n'était
pas autorisé pénétrer dans une demeure
particulière avec une arme éminemment
dangereuse et prohibée. Ensuite, il a été
constaté que l'accusé a donné avant tout
un soufflet son adversaire. Pourquoi cet
acte de violence n'a-t-il pas été l'objet
d'une réserve ou d'une conclusion subsi
diaire; soit comme sévices, soit comme
ayant pu d'après les circonstances, entraî
ner un duel? La punition eut été en tout
cas légère la vérité, mais nous ne trou
vons pas qu'il suffise, de n'être point dé
claré coupable de meurtre pour obtenir
un bill d'indemnité sur de moindres mé
faits. M. Vergauwen Gand n'a-t-il pas été
condammé pour avoir appliqué un soufflet
sur la joue de M. D'hane? M. Hochstein
Ypres n'a-t-il pas été puni pour avoir hu
mecté incongrûment de salive la face de
M. Maertens?
Nous sommes du nombre de ceux qui
désirent que les lois soient exécutées tou
tes et partout; mais si l'indulgence pouvait
commander des exceptions, nous excuse
rions M. Vergauwen emporté par un zèle
patriotique exagéré, et M. Hochstein cé
dant un instinct paternel mal conduit,
plutôt que cette espèce de héros de Balzac,
ceignaut l'épée sous la robe,et témoignant
sa surprise de ce qu'une de ses orgies a eu
pour résultat le dénouement le plus vul
gaire des romans.
Ou bien M. Chaix-d'Est-Ange a mal
rendu sa pensée, ou bien il faut avouer
que ce grand orateur a des idées religieu
ses difficiles comprendre. Dieu a frappé
Sirey, a-t-il dit, sans lui donner un instant
indispensable pour se réconcilier avec lui.
Et ensuite il s'écrie sa mort a tout ab
sorbé, tout expié. Il est d'une suffisance
au-dessus de la mission du défenseur
d'après nous,d'avancer d'un ton tranchant
et solennel que l'instant indispensable de
la réconciliation a manqué; mais en en
trant dans la supposition formidable que
ce moment précieux ait été refusé, ce qu'il
n'appartient nul être mortel de dire avec
certitude, n'est-il pas absurde de prétendre
que dans cette hypothèse la mort a tout
absorbé! 11 y a évidemment contradiction
d'un coté on déclare que la réconciliation
n'a pas eu lieu, et on s'en lamente; de
l'autre on déclare que la réconciliation a
eu lieu, et on s'en console. Me Roussel a
fait observer que nous vivons en pays de
logique, M8 Chaix vit en pays de mouve
ment.
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