JOURNAL D YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
N° 2961.
29me année.
UNE NUIT AU MEXIQUE.
On s'abonne Ypres, Grand'-
Place, 34, vis-à-vis de la Garde, et
chez les Percepteurs des Postes du
Boyau me.
PRIX DR L'ABOMYEMENT,
par trimestre,
Pour Ypresf*r
Pour les autres localités 4 S*
Prix d'un numéro.
Tout ce qui concerne la rédac
tion doit être adressé l'Éditeur
Ypres. Le Propagateur parait
le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine.
PRIX DES IX8ERTIOX8.
S 7 centimes par ligue. Les ré
clames, 33 centimes la ligne.
vérité et justice.
TPR33S, 14 Février.
LES FILLES REPENTANTES.
S'il est quelque chose de scandaleux et de dé-
goûiant, c'est de voir un journal de cette ville
s'acharner contre une mesure d'administration
soumise au contrôle des Chambres, pourquoi?
Parce qu'elle tend a fonder ofl consolider dans
une ville populeuse, un établissement d'une haute
morale, un refuge de filles repentantes!
Un incendie ayant dévoré l'ancien hôtel provin
cial de Liège, un autre local a été approprié cette
destination. 11 s'agissait de savoir quel usage
serait désormais appliqué le terrain des bâtiments
que l'incendie avait détruits. Aucune destination
spéciale n'était réclamée par les besoins de la loca
lité. Un temps considérable s'écoula sans qu'il fût
arrêté ce qu'on en ferait. Finalement, M. l'abbé
Habets proposa de l'acquérir pour y eriger un
asyle de filles repenties, institution dont la néces
sité est évidente a Liège. Les offres de M. Habets
étaient telles, qu'elles égalaient environ ce que
l'étal eût pu obtenir au plus haut prix. Il pouvait
donc la fois se défaire d'une propriété inutile et
improductive, en réaliser la valeur, et contribuer
en même temps l'exécution d'un projet fort
honorable. Quel est le ministre, qui sans être taxé
d'impéritie, de négligence et d'absence de bonne
volonté, eût pu refuser d'entrer en négociation
/jvec l'acquéreur qui se présentait? Néanmoins le
marché ne fut arrêté que sauf l'approbation du
pouvoir législatif. C'est cet acte, dû aux vues sages
et aux prudentes combinaisons de notre député,
M. le ministre des finances, que la Chambre des
Représentants vient de ratifier une remarquable
majorité. Cette majorité a compté dans ses rangs
fragment du journal d'un voyageur américain.
Voilà un délacieux endroit pour bivouaquer cette nuit,
m'écriai-je en sautaut terre et en étirant mes membres
cnraidis par une longue course dos de mulet.
Mon compagnon appuya ma motion d'un signe de tête et,
comme moi, se jeta bas de sa selle. Quant nos indolents
Mexicains, arrieros, muletiers et serviteurs, ils s'occupèrent
machinalement des préparatifs de notre campement. Maudite
soit leur impassibilité; ils nous auraient vus sur le point de
nous étendre dans un marais, la tète sur le dos d'un alligator,
qu'ils n'auraient pas desserré les droits pour nous avertir de
notre imprudence; ces métis mexicains, moitié Indiens,
moitié Espagnols, sont trop familiarisés aux dangers de leur
sol et de leur climat pour soupçonner que les moustiques, les
serpeuts, les scorpious, les crocodiles et autres créatures du
même genre, qui infectent leur étrange patrie, peuvent exposer
quelque péril la confiante inexpérience d'un étranger.
J'étais venu au Mexique eu compagnie de Jonathan Row-
ley, jeune hercule virginien âgé de vingt-six ans, haut de
plus de six pieds et mcmbré en proportion. Nous avions beau
coup entendu vanter la beauté du payset nous nous étions
mis en route en nous promettant monts et merveilles. Nous
étions arrivés Mexico sans avoir rien découvert qui méritât
les incroyables éloges prodigués la nouvelle république.
Toutefois, peine engagés dans les districts situés au midi de
des membres de toutes les nuances d'opinion, et il
devait en être ainsi puisqu'il ne s'agissait point
d'une question politique, mais d'une question sim
plement administrative d'une part, de haute morale
de l'autre.
La légalitéde la transaction pouvait être débattue
sans doute, et nous sommes loin de croire que la
minorité qui a voté contre le ministère y ait été
déterminée par des considérations autres que la
légalité. Nous ne ferons cet égard a aucun de nos
Représentants l'injure du moindre doute. Mais
c'est précisément pour obtenir cette légalité que le
vote a eu lieu, c'est par le vote que l'acte a reçu
son complément de légalité.
Nous le demandons, est-ce bien sur de tels faits,
et en de telles circonstances, que le Progrès doit
épuiser toute la puissance déclamatoire dont il
dispose Que signifie donc cette soudaine et ridicule
exaspération? Que fait-elle penser? Que fait elle
croire
Tandis que chaque localité du pays se réjouit
du mérite des hommes remarquables qui lui appar
tiennent, ici de pitoyables ergoteurs animés d'une
haine que leur inspire l'esprit de parti et l'envie
du talent, ne laissent échapper aucun prétexte de
s'attaquer systématiquement aux actes de M. Malou.
Quand il était élu représentant, le choix était
pitoyable; son entrée au ministère, on regrettait
son incapacité, il ne lui a été tenu compte d'aucun
service, tout dans son administration a été blâmé.
Il est vrai qu'il y a loin du jugement du Progrès
au jugement des hommes sensés, au jugement du
pays.
Mais il y a autre chose qu'une antipathie per
sonnelle ou qu'une prévention de parti dans l'ai
greur aveclaquelle la feuille en question déblatère
contre le dernier vote de la Chambre des Repré-
la capitale, nous avions vu le pays prendre soudain un carac
tère grandiose. A chaque pas surgissaient des forêts de pal
miers, de bananiers, d'acajous, d'orangers et de citronniers,
et nous retrouvions les fougères antédiluviennes aussi hautes
que des arbres. Toute la nature affectiat des proportions colos
sales, depuis les montagnes et les crevasses de plusieurs mil
liers de pieds de profondeur, jusqu'à l'ambitieuse végétation
du sol. Le ciel lui-même et nous semblait pas moins merveil
leux avec son azur tropical, voûte étincelante d'un bleu foncé
qu'on eût dit verni d'or fondu.
Malheureusement côté des prodiges de cette terre tita-
nesque, la nature a jeté d'une main fort prodigue mille vexa
tions. Des insectes de toute espèce, des reptiles de toute sorte
et surtout la fièvre nationale, reudent les basses terres inhabi
tables pendant huit mois de l'année. Cependant il est certaines
localités qui sont l'abri de ces fléaux, et dont l'atmosphère
est si limpide, la beauté si enchanteresse, que le seul fait d'y
vivre et d'y respirer devient une source de bonheur.
La plus célèbre de ces provinces privilégiées est celle que
nous parcourons, la vallée d'Oaxaca, large d'environ deux
cents lieues et entourée des plus haules montagnes du Mexique.
Nous étions souvent obligés de coucher la belle étoile j
vrai dire, nous avions alors le plus maguifique ciel des lit qu'il
soit possible d'imaginer. Selon la mode mexicaine, nous
avions notre suite une procession de mules, uu topiz ou
guide, deux arrieros ou muletiers, un cui.iuier et deux ou
trois serviteurs tout usage.
Taudis que ces derniers attachaient nos hamacs aux bran
dies inférieures d'un arbre, car dans ce pays il n'est pas pru
dent de dormir sur la dure, en raison des serpents, Toui
sentants: il y a un trait de plus de cette hostilité
permanente et implacable de certaines gens contre
tout effort qui peut favoriser un développement
religieux ou moral. Le Progrès s'est constamment
montré ennemi de la loi sur l'instruction primaire,
de tout enseignement moyen où la religion puisse
exercer sa légitime influence, de l'enseignement
supérieur organisé avec le concours de l'autorité
ecclésiastique; il est naturellement conduit a crier
haro sur un abbé qui se propose la tâche surhu
maine, que la force divine du christianisme peut
seule réaliser, de rappeler au devoir les victimes
du libertinage. Ou ne devait pas s'attendre après
tout une conduite différente de la part des admi
rateurs d'Eugène Sue et de Verhaghen.
Cependant si les Progressistes sont si pointilleux
sur la légalité, pourquoi n'ont ils point avec une
égale chaleur émis leur avis sur l'arrête' qui annuité
les élections de Watermael-Boitsfort Est-ce
parce qu'il rend M Verhaghen la possibilité de
rentrer au conseil communal de cette commune,
dont il était exclu? Car il faut avouer que cet
arrêté a donné lieu des critiques très nombreuses.
Pourquoi n'ont-ils pas élevé la voix contre la ces
sion par la ville de Btuxelles l'État d'une partie
de bâtiments, cession contre laquelle notre repré
sentant M. Malou prolesta avec énergie, non que
la transaction fût illégale, mais parce qu'elle était
onéreuse pour le gouvernement Est-ce parce
que cette cession a facilité le maintien de la fameuse
université libre? Pourquoi enfin nos libéraux out
ils si facilement passé l'éponge sur l'acquisition des
deux steamers Le Président et Britisch Queen
qui a englouti des millions? Est-ce parce que ce
marché avait été conclu par le ministère-modèle
qui a toutes ses sympathies
Nous ne finirions pas si nous voulions rappeler
notre cuisinier, alluma un feu contre le rocher, et au bout de
quelques minutes nous eûmes le plaisir de voir une iguane
tourner et rôtir devant la flamme. C'était, il faut l'avouer, un
hideux spectacle que ce monstre, moitié lézard et moitié
dragon, étrangement contourné et illuminé par la lumière
fantastique du foyer. Mais nous savions, par expérience, qu'en
dépit de sa laideur, une iguane est le plus fin mauger qui soit
au mondeet nous ne nous laissâmes pas dégoûter pour si
peu. Notre festin justifia pleinement notre attente, et, après
l'avoir complété par quelques libations de vieux rhum, nous
grimpâmes dans nos hamacs. Les Mexicains s'étendirent
terre, la tète appuyée sur les selles des mules, et bientôt
maîtres et valets furent profondément eudormis.
Vers minuit, je fus péniblement réveillé par une indicible
sensation d'étoulfement. L'air semblait être une exhalaison
empoisonnée sortie tout-à-coup de quelque autre méphitique.
Du fond de la vallée, s'élevaient de sombres vapeurs qui
roulaient vers nous en augmentant chaque instant d'opacité.
Au même moment, tandis que je faisais de toute nia force le
vide dans mes poumons pour ne pas suffoquer, une nuée d'une
autre nature s'abattit sur moi, et un millier d'aiguillons pa
reils des aiguilles chauffées blanc, pénétrèrent dans mes
mains, ma figure, mon cou et toutes les parties de ma per
sonne qui n'étaient pas défendues par une triple cuirasse de
vêtements. Je fermai instinctivement les maius, et je saisis au
moins une cinquantaine d'énormes moustiques dans l'étroit
espace enfermé par mes doigts. L'air était littéralement rem
pli de ces terribles insectestassés en masse compacte, ils se
heurtaient l'un l'autre de leurs ailes en produisant un bour
donnement assourdissant Les toitures que me causaient leurs