JOURNAL D YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
]\o 3111.
31me année.
Les comices du 8 juin, moins par leur
résultai final que par certaines manifesta
tions, ont nécessité le retrait du ministère
De Theux; nous disons moins par leur
résultat que par leur signification, parce
que, si le ministère n'a pas conservé intacte
l'ancienne majorité, il ne s'est pas dressé
non plus devant lui une majorité nouvelle,
qui fût de nature lui rendre le gouver
nement d'une absolue impossibilité. La
question pour le ministère De Theux n'était
donc pas s'il serait désormais impuissant,
par abandon, de conserver les rênes de
l'état, mais s'il serait compatible avec sa
dignité de se maintenir au pouvoir. 11 est
évident que le ministère aurait manqué
la couronne et lui-même s'il n'eut pro
testé contre les tendances de quelques
corps électoraux par le renoncement sa
haute et difficile mission. Les ministres
ont résigné leurs portefeuilles et nous
sommes sûrs, qu'en pareilles circonstan
ces, des libéraux se décideraient les
conserver la confiance leur échappe-t-elle
de toute part, sont-ils débordés par l'op
position, ils se cramponnent encore au
pouvoir, et la sagesse royale est obligée
d'intervenir pour sauver la nation d'une
horrible anarchie. Délégués dans l'oppo
sition depuis six ans, les libéraux sont
enfin parvenus, en déployant des manœu
vres mille fois signalées, entraver la
marche de tous les ministères de modéra
tion et de conciliation; ce qu'ils veulent
c'est que le Pays soit gouverné par l'esprit
de parti, bien entendu par l'esprit de leur
propre parti; ils ne souffrent point qu'un
peuple soit dirigé par la raison, par la
sagesse, par la prudence, qui dominent
tous les partis. Quoi qu'il en soit, la suc
cession ministérielle est ouverte, et les
libéraux sont appelés la recueillir. Tous
leurs vœux sont donc accomplis. Mais il
plaît Sa Majesté de ne pas accepter
l'instant même les démissions offertes par
ses ministres, et ceux-ci continuent gou
verner le Pays. De là des plaintes et des
colères. Fallait-il peut-être que le lende
main des élections les ministres se reti
rassent et que le surlendemain les libéraux
fussent mis même de saisir les porte
feuilles? Il appartient sans doute au Roi
de prendre son temps et de choisir le
moment oportun de créer un nouveau
ministère. Or, aussi longtemps que la cou
ronne n'a pas exercé sa prérogative, les
ministres démissionnaires ont l'obligation
de rester leur poste, ils se rendraient
coupables s'ils désertaient le pouvoir, ils
porteraient le poids de toute la responsa
bilité jaillissant du désordre, du boulever
sement de la machine gouvernementale.
Ainsi les ministres doivent pourvoir l'ex
pédition des affaires courantes, et nommer
aux places disponibles, afin que nulle
partie de l'administration générale ne de
meure en souffrance. Le ministère a suivi
jusqu'à présent cette ligne de conduite et
c'est justement ce qui a soulevé toutes les
vociférations habituelles des organes du
libéralisme. D'après eux, le ministère de
vrait se borner administrer, il ne pourrait
plus se permettre de gouverner, dès lors il
ne pourrait plus procéder des nomina
tions. Distinction futile s'il en fut jamais,
car, de bonne foi, comment le ministère
administrerait-il sans fonctionnaires? Si le
ministère ne pouvait plus gouverner, il ne
pourrait plus administrer, car il est clair
que le gouvernement implique l'adminis
tration, et en administrant il exerce une
des branches du gouvernement. Au fond,
les libéraux prétendent que le ministère
n'a plus le droilde poser un acte politique,
et ils considèrent comme tel toute nomi
nation un emploi vacant, par le motif
que le ministère appelle aux fonctions
des hommes dont les vues sont en har
monie avec les siennes plutôt qu'avec
celles du libéralisme. Il en résulte, selon
nos adversaires, ou que le ministère a
l'intention de se raccrocher au pouvoir
ou de jeter des entraves devant les libé
raux. La première hypothèse est mani
festement contraire aux apparences, elle
est contraire en même temps la réalité:
si les ministres avaient eu la moindre
velléité de rester nantis de leurs porte
feuilles ils n'auraient pas donné leur dé
mission; leur honneur et leur considération
s'opposent forcément ce qu'ils ne se
retirent point, au moins temporairement;
le jour est venu de souffrir que le Pays
fasse l'expérience d'un gouvernement libé
ral; le ministère De Theux s'est rendu
sincèrement et spontanément ces con
sidérations élevées et qui lui ont paru
impérieuses on ne revient pas sur une
détermination aussi grave et aussi solen
nelle. Est-il permis d'attacher plus d'im
portance la deuxième supposition? elle
est aussi dénuée de fondement, elle est
plus injurieuse encore que l'autre. Le seul
triomphe que le parti catholique ambi
tionnées! de voir le parti libéral succomber
On s'abonne Ypres, rue de
Lille, n» 10, près la Grand'place, et
chez les Percepteurs des Postes du
Royaume.
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Pour Ypresfr. 4—OO
Pour les autres localités 4i«
Pria d'un numéro. Q—to
Tout ce qui concerne la rédac
tion doit être adressé l'Éditeur
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VÉRITÉ ET JUSTICE.
7FF.2S, 24 Juillet.
INE MAISON DANS LE IÏÉSE11T. (i)
Sur une des routes de rivage (connue on np-
pelle les grands chemins près de l'Atlantique),
dans une partie éloignée de la province, il est une
maison solitaire située au milieu d'im dés cantons
les plus sauvages et les plus arides de ces colonies
de chaque côté s'étendent d'immenses tourbières
sur le derrière, c'est un sol onduleux de formation
granitique, couvert d'énormes fragments de ro
chers. Sur le devant est un lac perdu dans un
bassin profond si calme, mais si triste a l'œil, qu'on
croirait voir le Cocyte de la vieille mythologie. Au
delà s'élève une montagne qui, semblable une
vague soudain pétrifiée, sert de barrière a l'Océan,
dont on peut entendre le murmure. L'emplacement
de la maison est une langue de terre qu'ombrageait
autrefois un bois de frênes et de bouleaux tombés
successivement sous les coups de la cognée; le sol
(f) L'auteur de cette esquisse est M. Halliburton, qui, sous
le pseudonyme de Jam Slicka peint d'une maniéré si origi
nale les mœurs anglo-américaines.
n'y est pas encombré de pierres; mais part celle
langue de terre, tout est au loin surface stérile,
roches, nues.
En été même, alors que la végétation s'est effor
cée de dissimuler la désolation et la difformité de
ce désert, alors que vous êtes quelquefois distrait
de la monotonie de ces horribles tourbières par le
vol d'un brillant insecte, par le bourdonnement de
l'abeille voyageuse ou le chant des oiseaux, celte
maison perdue au milieu de la solitude vous inspire
un sentiment pénible; vous vous demandez qui a
pu conduire dans cette Thébaïde une famille d'êtres
humains, et vainement vous voulez vous reconci
lier avec son isolement par la pensée d'une vie
calme, innocente, a l'abri des passions, de la haine,
de l'envie, des persécutions, de tout ce qui trouble
enfin les joies du monde; c'est toujours l'image des
maux de l'exil qui revient dans votre esprit.
C'était cependant une inspiration charitable qui
avait conduit celui qui construisit la maison soli
taire. John Lent s'était proposé, en s'élablissant
l'a, de procurer au voyageur un abri pour la uuit
et un guide pour le lendemain. 1! avait été aidé par
les souscripteurs et encouragé par l'aide person
nelle de tous ceux qui, fixés a quelque dislance,
avaient intérêt a entretenir la route, ou étaient
touchés de l'intention bienveillante et hospitalière
d'un pareil établissement. La maison de John Lent
et sa grange avaient élevées non sans beaucoup de
peines et de difficultés, car tous les matériaux ve
naient de loin; l'administration lui avait accordé
une licence de tavernier, et la législature lui avait
voté une petite somme de 10 a 12 livres sterl.
annuellement, en considération des services qu'il
pouvait rendre pour assurer les communications de
la poste dans cette partie de la province.
Le domaine de John Lent contenait environ
trente acres qui furent bientôt défrichés et mis en
culture. 11 put y récolter facilement sa provision
de foin pour l'hiver et un produit annuel de grains
et de légumes. Ses moutons et ses vaches errants
dans les plaines y trouvaient pendant la belle saison
une dépaissance abondante en herbages, et ils
broutaient aussi au besoin les fueilles des buissons.