Monseigneur rentra au cloître St-Martm
où l'on avait élevé au milieu un monticule
verdoyant arrangé en bosquet projetant
des lumières mystérieuses au travers d'un
buisson artificiel. Devant l'arc de triomphe
la porte de M. le Doyen, la foule se mit
genoux, l'Évêque donna sa bénédiction,
prononça quelques mots affectueux de
remerciment, et le plus grand jour qui
ait favorisé la ville d'Ypres était arrivé
son terme. Le même empressement popu
laire se fit remarquer les jours suivants
dans les églises et partout sur le passage
de Monseigneur, partout on se prosternait
devant lui, partout les fenêtres étaient
garnies de monde chaque trajet. Le
samedi, 6 h. du matin. Mgr. Malou
avait quitté nos murs. Le défaut d'espace
nous oblige de remettre encore l'insertion
des inscriptions publiques qui ont été
recueillies.
M. Danneels vicaire de Sl-Jacques est
décédé en cette ville, hier 7 heures et
demie du soir. Une courte maladie qui
semblait d'abord peu dangereuse; l'a en
levé en peu de jours ses nombreux amis,
l'âge de 36 ans. Ce digne prêtre sera
vivement regretté la paroisse de St-
Jacques, l'école de Lamotte où il était
directeur, et même dans toute la cité.
DEUXIÈME ENTRETIEN.
(Personnages Le grand, pachachevalier
de Guillaume; un Boule Dogue surnommé My-
lord Pouff et le Barbu Biberon.)
Le grand pacha. Eh bien Mylord, quelles
sout donc aujourd'hui les nouvelles du jour?
Mylord pouff. Les nouvelles du jour, cher
Pacha.... (Il interrompt tout h coup sa phrase, sé-
coue le tapis qui couvre la table, et lâche quelques
coups de pieds dans l'espace qu'occupe le plan de
ce meuble.)
Le barbu biberon. Mais Mylord as tu donc
perdu la tête?
Mylord. (Levant vivement les deux mains)
n'en déplaise, M'le barbu, je la tiens et garde avec
plus de soin que personne...
Le barbu biberon. Que signifient ces jam—
bades
Mylord. Ce que signifient ces jambades;
c'est que je crois la présence occulte de quelque
jésuite. Ne sais tu donc pas que tout ce que nous
avons dit dans notre dernière entrevue, a été livré
la publicité? Or, quel autre vaurien qu'un sec
taire d'Inigo peut nous avoir joué un tour aussi
traitreux. (Cela dit, il se lève brusquement, tire un
carré de papier de son calepin, et s'empresse de
l'accoler sur le trou de la serrure du salon qui les
renferme.)
Le grand pacha. C'est par trop de pré
caution, Mylord (avec hilarité) les jésuites comme
les diables ne se trouvent que dans une bourse
vide
Le barbu biberon. Ce n'est au moins que
depuis que les événements de France ont vidé le
tiroir de nos commerçants-industriels, que les dé
mons cléricaux y ont pris leur demeure. La chose
est flagrante ce n'est que du jour où la canaille
industrielle désespérait de tenir sa barque a flot au
moment de l'orage que celle-ci en confia les rames
un maudit calotin. Ma foi, c'est bien avec raison,
cher pacha, que vous le dites, les jésuites comme
les démons ne srou vent que dans une bourse vide.
Mylord pou. La peste, c'est que du jour où
les mannequins'industriels ont ouvert leurs voiles
aux vents jésuitjues, la fortune s'est assise au gou
vernail de leur avire
Le grand pcha.Enfin (poussant en
suite un long sopir) qui pût lutter jamais contre
la fatalité!.. Hot cela, Mylord, n'avez-vous point
quelqu' heureus nouvelle a nous communiquer?
Mylord pouf.Heureuses nouvelles, en vé
rité, que de voil'hydre cléricale enserrer toute la
ville dans ses grTes! on ne converse que de l'ar
rivée du trop faieux calotin Maloufrère de l'ex
vipère ministérille, et l'on n'a pas assez d'encens
offrir toutecette famille rétrograde. Foutre
d'Évêquei que fa-t-il visité son aima mater,
plutôt que de veir remuer toutes nos populations!
Le barbu bibron. Il faut que tous les dam
nés d'Ignaciens 'eu soient mêlés, sans cela les
choses ne pouvaint prendre celte tournure; c'est
sur l'honneur queje le déclarej'eusse donné cinq
centimes si ce crnichou d'Évêque n'eut pris le
parti de venir enorceler les Yprois par trop bé
névoles.
Le grand pacia. Cinq centimes; c'est peu
de chose; l'arrivée de ce faquin mitré me parait si
préjudiciable surtiut qu'elle offusque la visite du
gouverneur que je consentirais volontiers h payer
cinquante francs aix pauvres, si je pouvais effacer
le 22 Août de la mémoire publique. Encore si
l'élan avait été aissi vif pour fêter le Gouver
neur comme il la été pour choyer Monsieur
l'Evêque mais vois savez....
Mylord pouff.Tout ce que je sais c'est que
nous avons rendu au baron Devrière tous les hon
neurs possibles. Pour ce qui est du reste, je m'en
sousis peu ou point. J'ai gardé le lit pendant qua
rante huit heures, temps qu'a durée l'ovation
cléricale.
Le barbu biberon. Et moi j'ai été lit où j'ai
pu dire dans l'effusion de mon âme A boire! h
boire I a boire! allons amis; versez le vin; a boire!
boire! boire! arrière lescalolins.
Le grand pacha. (D'un ton mécontent.)
Tout cela ue prouve pas moins que l'enthousiasme
en faveur de Monsieur l'Evêque, dépassé toute
prévision faite. Ce qui dénote le retour h des idées
qui ne sont point des nôtres
Mylord pouff. Que l'entrée de Maloti, le
fétiche des maunequins-iiidustriels, ait été telle
qu'elle voudra, je n'entends point qu'elle fasse
oublier la visite de son excellence M. le Baron
Adolphe Devrière. Il faut se rappeler parbleu ce
que nous avous fait. Quant aux honneurs insignes
que vous faites accorder Malou, tout cela ne
dénote qu'une chose, c'est que les bigots et les
dévotes pullulent en notre ville.
Le grand pacha. Nous avons fait tout ce
que dépendait de nous, j'en conviens; mais je
vous le demande, Mylord, sans notre coopération
active, le gouverneur ne serait-il pas entré en
ville comme on y entre tous les vendredis pas un
bourgeois ne se montrait disposé sacrifier une
obôle en l'honneur du premier fonctionnaire de la
province, tandis qu'a la nouvelle de l'entrée du
trop fameux Jean-Baptistetout le monde
l'envi s'est mis délier sa bourse. A voir ce frap
pant contraste, mieux aurait valu que le gou
verneur eut remis sa visite.
Lord pouff. A la bonne heure grand pacha;
c'est vous qui avez fait les premières iustances au
près du gouverneur, afin qu'il vint honorer notre
ville de sa présence; c'est vous qui avez trouvé
indispensable que ce fonctionnaire haut placé
précédât dans nos murs le calotin Malou, afin
d'obscurcir autant que possible la visite de ce der
nier; c'est vous, pour tout dire, qui êtes parvenu
vaincre la répugnance qu'éprouvait Devrière
prendre le parti de faire le voyage Ypres, et
se poser ici comme Courtrai et ailleurs, en
précurseur de l'Evêque, et présent vous voudriez
que sa visite fût encore faire? Qu'est-ce qui
motive cette versatilité de volonté?
Le grand pacha. La simple expérience.
Mylord pouff. Aux diables l'expérience;
une fois le parti pris, je ne recule devant rien,
dussé-je me trouver en face de l'Océan en voulant
franchir un fossé, j'y passerai outre...
Le grand pacha. Quant moitoute mé
saventure m'afflige et me touche; et je persiste
vous dire que si le passé était nous, j'y penserai
deux fois avant d'inviter le gouverneur venir
séjourner parmi nous; d'autant plus....
Le barbu biberon(Interrompant.) Le vieux
farceur y pensa sept fois, et n'en brûla pas moins
ses culottes.
Le grand pacha.(Continuant)d'autant
plus dis-je,que M. le gouverneur n'est guère trop
satisfait de l'acceuil qu'il a reçu, alors qu'il a appris
comment les choses se sont passées l'arrivée de
Malou.
Mylord pouff Le gouverneur est un homme
d'un libéralisme trop éprouvé pour être choqué
par la mauifestation qui a eu lieu l'arrivée de
l'Évêque. Instruit autant que nous des menées
jésuitiques, il saura se convaincre que ces faut-
chasser-partout auront enchanté lesY'prois pour
décerner ces fols honneurs leur beat patron,
comme ils se seront emparés de l'esprit de la bour
geoisie, l'effet de la détourner de décorer leurs
maisons l'arrivée du chef de la province. L'a
verse qui nous mouilla jusqu'aux os, quaud M. le
gouverneur mit pied terre prèsdu pavillon d'hon
neur, ne démontre-t-elle pas au plus incrédule
qu'une invisible canaille cléricale accompagnait
le gouverneur dans sa tournée!
Le barbu. Je me rappelerai toujours cette
pluie battante, que le public a titrée de gou
verneurs vlage.
Mylord pouff. Si l'aveuglement du public
n'allait jusqu'à la stupidité, on l'aurait au moins
nommée l'averse jésuitique pape vlage.
Le grand pacha. Vous ne pouvez, Mylord,
trop vous iuscrimer contre l'influence jésuitique,
car les gamins de la rue vous montreraient du doigt.
Mylord pouff. Qu'on me poursuive du doigt;
je les poursuivrai de la plume, ces ultramontains,
ces socialistes, ces judas de l'industrie et du com
merce qui ne visent qu'à nous enlever le modeste
gateau du pouvoir!
Le grand pacha. De grâce, Mylord, mé
nagez cette canaille, c'est d'elle que nous avons
tout craindre.
Mylord pouff. Je ne la crains point, moi
et rien ne pourrait me faire désister de lui faire la
guerre outrance.
Le grand pacha. Vous serez défait
Mylord pouff. Que je succombe. Je ne suis
point né poltron; et la postérité pourra dire de
moi comme de M. Lapalisse M. de la
ie barbu biberon. (Se met chanter) My
lord pouff est mort; il est mort de maladie; une
heure avant son mort il était encore en vie Est-ce
bien ceci que vous voulez qu'on chante de vous
Mylord
Mylord pouff. Voilà ce que je veux qu'on
dise un jour de moi bravo, cher barbu vous avez
compris ma pensée. Je prétends vivre et combattre
la gent clérico-industrielle jusqu'à ce queje meu
re! et ne mourir que quand j'aurai cessé de vivre et
de combattre.
Le grand pacha J'admire, Mylord, votre
courage.
Mylord pouff. L'audace, est sans contredit