9 JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT. No 3392. 33me année. 7PF.SS, 3 Avril. REVUE POLITIQUE. L'un des symptômes les plus surs de la décadence politique des nations, c'est l'en vahissement des sophistes et des lettrés dans les affaires de l'Etat. L'un des symp tômes les plus surs de leur décadence morale, c'est l'envahissement d'une or gueilleuse demi-science dans l'empire des intelligences. La Grèce, l'empire Romain, celui de Constantinople, la France depuis un siècle témoignent hautement de la vé rité de ces assertions. Entrer plus avant dans des détails historiques, nous parai- trait au moins superflu. Esprits remuants, insatiables dans leurs désirs que surexcite sans cesse cette action continue de l'intelligenceconséquence naturelle de leurs travaux, de l'agitation sans relâche de la pensée, les hommes par profession adonnés aux lettres et aux sciences n'envisagent le monde qu'à tra vers le prisme d'une imagination féconde en utopies pernicieuses, voire même en rêves turbulants. Aussi n'est-ce pas sans une juste appré hension, que nous voyons des feuilles li- béralistes, non-contentes du monopolegou- vernemental que consacrerait l'adoption du projet de loi sur l'enseignement moyen, s'efforcer de convertir le professeur laïc en fonctionnaire de l'État et le corps pro fessoral en caste privilégiée, repue des deniers du contribuable. Clameurs inté ressées, clameurs hypocrites, clameurs mensongères, rien ne coule nos cléro- phobes pour extorquer aux .chambres une 1 décision la hauteur de leurs convoitises. Eh cependant, en quoi ..le professorat laïc a-t-il amélioré l'éducation de la jeu nesse? Ou seulement, quels illustres dis ciples a-t-il jamais produit? N'est-ce pas depuis qu'il s'est mis faire une concur rence hostile l'instruction donnée par le clergé et les ordres religieuk, qu'un scep ticisme pédentesque, quelle mépris de toute influence religieuse ônt étendu leurs déplorables ravages dans l'âme d'une jeu nesse, jadis morale et laborieuse? Et qu'a- t-il fait enfin qui reponde la vanité de ses avides prétentions? Est-ce lui qui pré para les grands siècles littéraires? Est-ce lui qui féconda les grands génies dont s'honorent les lettres? S'il a pu s'en ren contrer de loin en loin, qui s'écartant des voies battues, durent tout eux-mêmes; le grand nombre, tant parmi les anciens que parmi les modernes, puisa ces talents qui en firent des maîtres, aux écoles que l'instinct vivace des peuples confia de tout temps aux soins exclusifs du prêtre. Mais nos pédagogues laïcs ne furent pour rien dans cet apogée de l'esprit humain. A peine ont-ils pris pied dans l'instruction, que les fortes éludes dégénèrent rapidement, que le mauvais goût s'empare des intelligences les plus saines. Incapable de se faire un tftim', «Fexeeller dans quelque branche particulière, la gente de lettres par profession s'efforça au moins d'atteindre une certaine universalité de connaissances, et cet engouement funeste des hommes de savoir ne manqua guère de s'introduire dans l'enseignement. En eux s'est incarnée la race inepte et dan gereuse des demi-savants; qui a pris des proportions alarmantes. Elle a ôsé tout contester, tout soumettre aux investiga tions téméraires d'une intelligence souvent pervertie. Gangrène funeste au cœur de l'Etat; sauterelles dévastatrices des riches moissons que séma une main intelligente. C'est ce travers de la science dont la propension l'universalité porte le double cachet de l'orgueil et de l'impuissance; c'est ce travers, qui introduisit dans les classes, et notamment dans les études moyennes, cette multitude de branches, que l'intelligence la mieux organisée ne peut jamais acquérir que très imparfaite ment. Qu'est-ce que six années d'étude pour faire embrasser un adolescent, ou tre plusieurs branches de moindre impor tance le latin, le grec, l'anglais, l'alle mand; la littérature latine et française, au moins; les divers cours de mathémati ques; la physique; l'histoire universelle; l'histoire nationale; lagéographieancienne et moderne. D'ailleurs, qu'on ne s'exagère pas l'im portance de ces branches. Les mathéma tiques, science profonde et belle, donnent malheureusement aux esprits une tendance matérialiste et flétrissent ainsi les suaves et généreux instincts, qui sontaujeuneâge, ce qu'une douce rosée est la fleur nou vellement éclose. Elles forment néanmoins l'objet des prédilections de nos philologues législateurs. L'histoire, science au moins d'utilité secondaire pour la grande majorité des hommes, a acquis dans ces derniers temps de nos institutions constitutionnelles une importanceincontestable. Mais pour qu'elle tende vers un but utile, il faut une étude solide et assidue que ne permettent pas les occupations variées qui absorbent les loisirs de l'humanité; comme toute demi- science, elle n'est alors qu'un danger. Que dire de la géographie, qui dans les vues du ministre Rogier doit occuper le même rang que la langue latine? Sçience de nautonnier, de commis-voyageur; an nexe assez superflu de l'histoire, pour le reste des humains. Nous ne concevons pas davantage ce que l'allemand ou l'anglais ont faire dans nos collèges. Il importe de le constater; l'étude des langues et des littératures anciennes est le vrai fondement des études secondaires. Modèle unique qui ait jamais produit d'il lustres disciples, l'antiquité classique a seule le secret de former le commun des hommes la science de l'écrivain. Gerles dans l'immensité des siècles, quelques in telligences d'élite ont paru qui ne devaient rien elle; Dante, Shahspeare, Milton Astres solitaires voguant dans l'infini sans planètes et sans satellites. Jamais ils ne formèrent aux belles-lettres que quelques rares et maigres avortons. Il est encore un fait totalement méconnu. On ne nous contestera pas qu'un esprit d'effervescence instinctive, suite des bou leversements politiques, ne pousse fatale ment les peuples vers de nouvelles com motions. Les littératures modernes portent toutes plus ou moins l'empreinte de ces passions que les circonstances présentes doivent rendre essentiellement dangereu ses. Air contraire, les lettres anciennes s'adressant uniquement l'esprit, ont quel que chose de calme, de serein ;elles attirent toutes les facultés de l'intelligence vers l'unique but qu'il importe d'atteindre dans les humanités la pureté de style et de langage. Et cependant, encore une fois, comment s'approprier les langues anciennes; alors que tant de diverses branches absorbent tous les loisirs. De nos jours on aime faire sonner bien haut et sans cesse la vanterie fastueuse de la diffusion des lumières; mais procréer une multitude de petits génies, aptes par ler de tout, sans rien concevoir fond, et, par la même, vains, chicaniers, turbulants, n'est-ce pas abaisser le niveau des intelli gences! Que reste-t-il cependant pour y échapper la jeunesse studieuse, sous le coup des dispositions ministérielles? User VÉRITÉ ET JUSTICE. Au moment de mettre sous presse, nous apprenons qu'une pétition contre le projet de loi sur l'enseignement moyen est en circulation en notre ville. Aussitôt que nous aurons pu nous en procurer une copie, nous la communiquerons nos lecteurs dans une feuille supplémentaire. On a des correspondances de Lisbonne du 23; elles contiennent peu de nouvelles importantes. La Chambre continue de discuter la loi sur la presse sans incident remarquable. Il n'était plus question, 'a cette date, de modification du cabinet. Des manœuvres de bourse ont fait fléchir le 3 p. c. portugais a 28 15/16. S'il faut en croire que les correspondances de Madrid, le différend entre l'Espague et l'Angle terre serait sur le point de cesser, grâce l'inter vention de la Belgique. On ajoute que l'ultimatum de l'Angleterre est attendu chaque instant, mais jusqu'ici rien n'a encore transpiré dans le public sur ces arrangements diplomatiques. L'élection des Vosges est maintenant connue. Le candidat socialiste a eu le dessus; il a été élu par 33 mille voix contre 27 mille données au gé néral Raoul, décédé, comme on sait, il y a quelques jours. Deux journaux seulement ont paru h Paris le jour de Pâques, la République et la Voix du Peuple. Celle-ci ne contient guère que de la con troverse socialiste. Il n'y a donc rien de nouveau. Tout le monde connaît ces débats et ces querelles.

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Le Propagateur (1818-1871) | 1850 | | pagina 1