Ce malin vers les 8 heures, beaucoup de curieux
se tenaient au boulevard de l'Entrepôt devant le
canal de Charleroy dans lequel se déversait tou
jours le torrent de l'inondation. Quelques-uns de
ces curieux s'étaient aventurés jusque contre les
bornes qui se trouvent établies sur le mur de sou
tènement du quai et d'une barre longitudinale en
fer relie.
Quatre hommes se tenaient appuyés contre ces
espèces de gardes-fou, lorsque tout a coup un cra
quement terrible se fit entendre; c'était le mur du
quai qui, miné par le courant, s'écroulait dans le
canal avec les bornes en pierre bleue, les ouvrages
en fer et tout le reste. Les quatre hommes disparu
rent dans l'eau avec les matériaux un seul put être
sauvé, et l'on n'a pas encore retrouvé les corps des
trois autres.
Les progrès de l'inondation ne se sont arrêtés
que vers minuit. En ce moment l'eau commençait
h arriver devant l'ancien café du Domino, l'angle
de la Place de la Mounaie et du Fossés-aux-Loups.
La rue Neuve se trouvait inondée jusque près de
l'église de Finisterre. L'Hôtel des Princes, l'Hôtel
de l'Univers et d'autres maisons encore avaient
leurs caves remplies d'eau presqu'à ras du trottoir.
A la place de la Monnaie et dans les principaux
quartiers, l'eau s'était infiltrée dans les conduits de
gaz. L'autorité avait ordonné aux babitants d'é
clairer la façade des maisons dans tous les quartiers
inondés c'est ce qui a été fait.
Près de l'église de Bon-Secours et dans quel
ques rues du Vieux-Marché il y avait jusqu'à cinq
pieds d'eau. L'église des Riches-Claires était aussi
entourée d'eau de toutes parts.
L'eau est arrivée jusqu'au Marché-anx Poulets,
non loin delà rue des Fripiers. La rue de l'Evêque,
comme la rue des Bateaux, la rue Fossé aux Loups,
la rue de la Fiancée et la rue du Chant-d'Oiseau,
avaient un pied d'eau. Il en était de même de la
rue des Pierres, de la rue au Lin, la rue des Grands-
Carmes, et la rue des Lombards.
Au faubourg de Flandres comme en ville, la
crue s'est arrêtée heureusement vers le milieu de
la nuit. L'eau a commencé décroître entre 4 et
5 heures du matin.
Jusqu'à ce moment n heures, la diminution est
d'environ un pied et demi.
Des magasins d'huile, de bières, de spiritueux et
d'autres marchandises sont complètement anéantis.
Un grand nombre de bestiaux ont péri au foubourg
et une cinquantaine de constructions plus ou moius
considérables se sont écroulées.
Le désordre est inexprimable. On ne voit que
voitures et chevaux chargés de vivres. Les gens
aisés émigrent vers le haut de la ville. Des provi
sions, représentant d'énormes valeurs sont détrui
tes. Heureusement qu'il a cessé hier de pleuvoir et
que les marées sont actuellement basses. L'escaut
pourra porter la mer une forte quantité d'eau.
Parmi les dommages qu'on nous signale figure
la perte de 5oo 6oo pièces de toile, qui étaient
étendues sur une prairie près de la Senne, en amont.
Ces toiles ont été enlevées en un clin-d'œil et char
riées on ne sait où.
En outre, un magasin s'est écroulé près du Mar-
ché-aux-Poulels. Nous aurons malheureusement
bien d'autres sinistres encore enregistrer.
Au milieu des scènes de douleur auxquelles don
nent lieu les désastres de l'inondation, il se passe
et là plus d'une épisode comique; pour n'en
signaler qu'un en passant, nous dirons que ce matin
des habitants de la rue du Curé, derrière l'église
de Sle-Catherine, s'amusaient pêcher, au moyen
d'une ligne,'des anguilles et des grenouilles amenés
dans ce quartier par les eaux de la Senne. -
Jeudi, huit heures du matin, la foudre est tom
bée sur le moulin en briques du sieur Poldus,
Opwyck, qu'il a entièrement détruit; des briques
ont été lancées au loin, une distance de plus de
6oo pieds. Rien n'était assuré.
La foudre est tombée jeudi matin sur une petite
maison Weinel pendant que ses habitants étaient
la messe. Deux jeunes enfan Is étaient restés seuls.
Le toit a été entièrement brûlé, mais la pluie a fait
l'office de pompe incendie et les enfauts ont été
sauvés.
Le même jour la foudre a mis le feu une ferme
sous Meysse, et toute la récolte de froment qui avait
été engrangée depuis l'avant-veille a été consumée
par les flammes.
Les pluies torrentielles de ces deux jours et l'i
nondation qui en a été la suite, ont eu les résultats
les plus fâcheux pour le chemin de fer du Midi;
près de Mons non-seulement les rails ont été en
levés par la violence des eaux, mais il s'est formé
la voie ferrée des excavasions qui ne pourront pas
être réparées avant quelques jours.
Arrivés près de Mons le convoi de Paris dut for
cément s'arrêter et l'on dut s'occuper de trouver
les moyens de transporter Bruxelles, sinon les
voyageurs, du moins les dépêches.
Tous les alentours de Mons submergés, ne pré
sentaient qu'un vaste lac l'œil épouvanté; cepen
dant on prit une barque dans laquelle on plaça le
paquet des dépêches, en cherchant la conduire
vers un point du remblai de la voie ferrée qui ne
serait pas encore atteint par les eaux.
Malheureusement la barque, difficile diriger,
alla la dérive et ce ne fut qu'avec des efforts
inouïs qu'on pût, au bout de plusieurs heures,
aborder l'endroit qu'on avait en vue, et d'où une
locomotive qui chauffait put conduire les dépêches
jusqu'à Hal.
Dimanchesix heures. Les eaux ont con
tinué se retirer pendant toute la journée, mais
assez lentement.
La population bruxelloise en masse s'est trouvée
sur pied durant tout le jour, des milliers de curieux
se sont répandus vers les quartiers inondés.
L'eau s'est rélirée complètement de la rue Su-
Catherine; le pavé de celte rue offre des traces des
dégâts considérables causés par l'invasion de l'eau
dans les magasins; le pavé est plein d'huile fine.
La foule s'arrête sur le pont d'Or, au Marché-
aux-Poissons, pour examiner les débris du magasin
de la maison de roulage Hellemans-Gérard et C°,
qui s'est écroulé hier soir.
Huit heures du soir. On vient encore de
conduire l'hôpital Saint-Jean des femmes et des
enfants victimes de l'inondation et manquant de
tout.
Près du chemin de ronde, des arbres d'une gros
seur énorme sont tombés déracinés par l'eau.
Lundi, midi. A l'exception d'une partie de
la rue des Chartreux, de la rue de Notre-Dame du
Sommeil, de la rue du Houblon et du quartier
nommé le Coin-du-Diable, le bas de la ville est
entièrement libre depuis ce matin, ainsi que la
chaussée de Flandre.
Le pont sur la Senne hors de la porte de Flandre
menace de s'écrouler chaque instant.
On travaille avec des centaines d'ouvriers ré
parer le chemin de fer au nord, au midi et sur la
ligne des boulevards.
Hier soir encore, les agents du bureau de police
de M. Stuckens (5° division, 5® et 4® section), al
laient en nacelle porter du pain dans une impasse
de la rue du Houblon et dans leCoin-du-Diable.
Le pain délivré pendant deux jours aux plus mal
heureux des inondés provenait de la boulangerie
des hospices où il a été fabriqué aux frais de la ville.
Dans le quartier du Bummelrue de la Boue,
rue de la Clef, et dans l'impasse Plétinckx, rue du
Houblon, des familles entières auraient péri sans la
présence d'esprit de plusieurs citoyens qui méritent
d'être signalés la reconnaissance publique. On
nous cite entre autres M. Cantony, capitaine de la
garde civique, M. Hertnaus, bijoutier et l'agent
Dogny, qui, au péril de leur vie, ont sauvé un
nommé Yanderkelen et sa famille, ainsi que la
famille du sieur Walschaerts, receveur des taxes
municipales. Il a fallu démolir un mur pour aller
sauver les inondés prêts être engloutis au milieu
de la nuit.
On ne connaît pas encore exactement le nombre
des victimes quiTtut péri, mais il est certain qu'il
y en a déjà sept ou huit. Hier encore on a vu trans
porter le cadavre d'un enfant noyé âgé de 3 ou 4
ans.
Toute la plaine de Cureghem est encore sous
l'eau. C'est là que s'offre le spéciale le plus affli
geant qui se puisse imaginer. Des habitations ont
été renversées par les eaux, et il paraît certain que
des personnes oui péri. La destruction des récoltes,
des bâtiments et des effets mobiliers, s'étend dans
un rayon de plusieurs lieues au midi de la capitale.
On lit daus les journaux de Namnren date du
18 La pluie a cessé ce matin Namur; mais la
crue des eaux continue, avec des progrès toujours
marqués sur la Sambre. Au pont de Sambre, les
piles, quelques pouces près, sont totalement sub
mergées. La Meuse est hors de ses rives, mais elle
n'a pas encore gagné la campagne de Jambe. A
Beez, elle est dans les prairies et menace les jardins.
L'orage du i4 et du paraît donc avoir eu son
origine dans les Flandres, où les plus grands dé
sastres ont été produits.
Le convoi du soir de notre chemin de fer n'est
pas arrivé hier.
Les convois d'aujourd'hui n'arriveront pas non
plus.
Au départ de Namur, les voyageurs ne sont
reçus que jusqu'à Tamine.
Cette interruption dans le service a pour cause
la rupture du pool de Tamine, qui s'est écroulé
hier daus l'après-midi.
En attendant la reconslrnction du pont, il de
vra être pourvu aux besoins du service par une
organisation provisoire qui consisterait trans
border les voyageurs d'un convoi dans l'autre,
avant et après le pont.
Le convoi d'hier, arrivant entre 3 et 4 heures
dans la station de Namur, a échappé un grand
danger. Presqu'au moment du passage dans le dé
blai de Flawiune, un écoulement s'est déclaré et un
quartier de roche a atteint le marchepied de l'une
des voitures. 11 n'en est résulté qu'une demi heure
de retard.
Le bateau de Dinant n'a pu partir ce malin.
Arrivé la hauteur du pont, la force du courant l'a
fait virer en travers du fleuve, et l'a entraîné ainsi
jusqu'à la Tète du Pré. Là il a réussi gagner le
chenal de la rive droite et a pu remonter sa
station.
On lit dans le Courrier de VEscaut Par suite des pluies
torrentielles de ces derniers jours, l'Escaut est monté au niveau
des grandes eaux d'hiver. L'échelle du radier du pont Notre-
Dame mouille dix-sept pieds de hauteur; le fleuve n'a pas
atteint ce niveau duraul tout l'hiver, et depuis 1816, on n'a
rien vu de semblable. L'eau a passé au-dessus des jetées des
pouts, et en aval de Tournay Aeltreau-dessus des rives,
envahissant toutes les prairies du Mey-Escaut de Tournay
Audenarde. La seconde récolte des foins est entièrement
perdue par le dépôt des eaux limonneuses, ce qui occasionnera
le plus grand préjudice l'agriculture.
On écrit de Charleroi, en date du 1 7 Toute la ville basse
est sous l'eau. Les affluents de la Sambre ont débordé. Ce sont
autant de torrents qui amènent des quautités innombrables
d'eau. Le chemiu de fer est submergé. Les voyageurs du
convoi d'hier soir ont été obligés de passer la nuit dans les
greniers des ateliers de la station le chef de la station s'est
opposé la marche du convoi pour Namur, et cette mesure
est fort heureuse, car sans elle le train eût entièrement péri.
Les chantiers de la compagnie du chemiu de fer d'Erque-
lines ont été emportés eu graude partie. On ne voit flotter
partout que planches, billes et brouettes.
Les torrents charieul du charbon, du grain et du foin,
enfin des récoltes de toute espèce.
On lit dans le journal de Charleroi, sous la date du 18
Sur un point, la porte de Mons, vers deux heures du
matin on entendit plusieurs coups de pistolet.
C'était un signal d'alarme donné par un nommé Melcbior
André, dont la maison était envahie par les eaux jusqu'au
plafond du rez-de-chaussée, et qui avait dû se réfugier dans
son grenier, l'unique étage de sa demeure. Trois bateliers,
les nommés Jules Tahier, de Lille, bord de VHumanité
Désiré Hupeyer de ValenciennesFernezde Condé hom
mes de dévouement et experts dans leur métier, ayant en
tendu les coups de pistolet, montèrent sur une barque et al
lèrent ou secours du sieur Audré qu'ils mirent ainsi que sa
famille en lieu de sûreté.
Ilsout sauvé de la même manière les familles de M. Grou-
lard, conducteur des ponts-et-chaussées, enfermé chez lui par
les eaux, de M. Lefebvre, avocat, et le hasarde Mme Dubois,
comme disent les bateliers.
j» On se fera une idée de la force des courants qui se bri
saient chaque coin de ruelorsqu'on saura qu'en voulant
porter des secours l'éclusier Del vaux qui manquait de pain,
ils furent repoussés trois endroits différentsavant d'arriver
au canal. Après avoir traversé celui-ci, il leur fut impossible
d'aborder la maison éclusière, et ils durent jeter les pains au-
I dessus de la demi-lune de Marciuelle.