Ire des suffrages exige' par la loi, il ne peut exister
aucun motif fondé pour s'arrêter une irrégularité
qui ne saurait être considérée comme substantielle.
Ce chef de nullité écarté, nous devons nous oc
cuper d'un second motif qui a déterminé l'avis de
votre commission.
La liste des électeurs affichée régulièrement le
3o avril contenait cinq noms que le commissaire
du district jugea avoir été indûment inscrits. Ce
fonctionnaire interjeta appel contre l'inscription,
et effectivement la députalion permanente du con
seil provincial prononça la radiation par décision
du 23 mai.
Il est toutefois remarquable que l'ordonnance
ne fut notifiée ni aux intéressés ni l'autorité com
munale. Les individus furent, en conséquence,
maintenus sur la liste qui fut adressée par le com
missaire du district lui même au président du col
lège électoral. En cet état de choses, il s'agit de
savoir si la participation de ces électeurs est de
nature a vicier l'élection.
11 me semble évident que non. En effet, aux
termes de la loi électorale, la liste des électeurs est
permanente; en conséquence l'inscription sur la liste
donne la qualité d'électeur et le droit d'exercer
toutes les prérogatives qui y sont attachées. Cette
qualité, on la conserve tant que l'on n'en est pas
légalement dépouillé. Or elle n'est enlevée qu'en
vertu d'une décision légale notifiée aux parties
intéressées et au commissaire du district qui doit
immédiatement faire les rectifications nécessaires,
(art. i3 de la loi électorale.) Elle ne vient a cesser
que sur la réclamation adressée au bureau par des
électeurs munis d'une décision de l'autorité com
pétente constatant que des individus ne font pas
partie du collège électoral (art. 23 de la même loi.)
Hors ces cas, tous ceux dont les noms sont ins
crits sur la liste ont droit de prendre part h l'élec
tion. La conséquence a déduire relativement au
cas qui nous occupe est facile saisir. Les indi
vidus dont il s'agit ne pouvaient être écartés du
scrutin, parce que l'autorité publique n'avait pas
rempli les formalités nécessaires h cette fin. Ils
avaient donc le droit de voter. S'ils avaient droit
de voter, leur admission au scrutin a nécessaire
ment constitué un acte légal. Or un acte légal ce
saurait vicier les opérations électorales. Telle est,
du reste, la jurisprudence admise par la cour de
cassation de notre royaume.
Un arrêt du 20 décembre 1802 porte Attendu
ques'il peut dériver du système admis par la loi élec
torale quelques inconvénients dérivant de ce que
quelques individus ayant perdu le droit élec-
claircir la foule des croyants qui se pressait dans le
café du petit champ des morts. Quelques intré
pides jaunissaires étaient seuls restés leur poste,
savourant la fumée du tchiboulck ou du narguilé.
Un petit vieillard h longue barbe et le front om
bragé d'un turban vert, couleur portée par les
hoggias ou docteurs de la loi, se tenait dans
l'angle du divan, fumant et paraissant plongé
dans de graves réflexions. Le plus grand silence
régnait dans le café, lorsqu'un nouveau venu salua
a la manière turque, c'est-à-dire en portant la
main sa bouche, puis son front qu'il inclina
légèrement vers la terre.
Salut au pèlerin Osman, dit l'borame au
turban vert en s'adressant au nouveau venu.
Le pèlerin Osman était uu véritable croyant,
dans toute la rigueur de l'expression. Les moindres
préceptes de l'Al-Koran avaient ses yeux le ca
ractère des lois les plus impérieuses. Nul n'était
aussi exact invoquer le nom d'Allach toute
heure du jour et faire les ablutions prescrites. Il
y avait mieux encore. Comme Osman s'était vu de
bonne heure sans femme, celle qu'il avait eue étant
morte et ne lui ayant pas même laissé d'enfant, il
avait pris la résolution de ne plus rien faire que
pour l'œuvre de son salut. Ce n'est pas qu'il eût
toralfigureront encore sur les listes, tandis que
d'autres individus qui ont nouvellement acquis le
droit depuis la révision annuelle et la clôture des
listes ne pourront pas néanmoins être portés avant
une nouvelle révision annuelle et la clôture des
listes, c'est la législature qu'il appartient d'ap
précier le degré d'importance de ces inconvénients,
et y pourvoir s'il y a lieu.
Votre commission me semble avoir perdu de vue
le point capital de la question. Alors que la déci
sion de la députation permanente était restée
l'état de lettre morte, alors que non-seulement elle
était soumise au recours en cassation, mais que
même elle était destituée de la formalité qui seule
la rendît exécutoire, c'est-à-dire la notification
aux intéressés ou la communication donnée au bu
reau électoral, l'inscription sur la liste qui forme
le titre de l'électeur restait intacte, et son droit
participer au vote, sain et entier.
Il y aurait eu acte abusif ne pas admettre au
scrutin les individus dont il s'agit.
Le bureau ne pouvait se dispenser de les ad
mettre au vote; or, je le répète, les opérations ne
sauraient être viciées que par un fait illégal.
Le système que je combats aurait encore pour
conséquence d'abandonner les opérations la merci
des agents du gouvernement qui, en ne faisant pas
notifier une ordonnance de radiation, pourraient
se ménager un moyen d'impugner l'élection, si son
résultat n'était pas conforme leurs vues.
Du reste, les considérations déduites par votre
commission De m'ont point frappé.
Il est d'abord essentiel de remarquer que la liste
générale des électeurs portant la date du 3o avril
contenait les noms des cinq individus en question.
L'allégation contraire de la commission est le ré
sultat d'une erreur de fait qui a produit les con
clusions érronnés du rapport.
Mais les cinq uomsdont il s'agit figuraient tel
lement sur une liste régulière que le commissaire
du district s'est pourvu contre l'inscriptioD, et que
ce fonctionnaire laissa subsister les mêmes noms sur
la liste qui fut transmise au bureau électoral. Il y a
plus, les cin.q individus prirent part l'élection en
présence du même commissaire de district et sans
réclamation de sa part. Peut-on, en semblables
circonstances, annuler des opérations électorales
avec quelque apparence de justice?
Un argumeut que nous trouvons consigné dans
le rapport est déduit de la circonstance que les
cinq individus dont nous avons parlé n'auraient
pas été convoqués lors des électious provinciales.
Celte considération me semble tellement faible
arrêté dans son esprit la volonté de se faire der
viche; la solitude et ses austères pratiques ne con
venaient aucunement sa nature; mais, outre
l'observance de la loi musulmane, laquelle il
voulait être fidèle, il projetait d'accomplir jusqu'à
trois fois un pèlerinage la Mecque. Il avait, en
effet, deux fois déjà exécuté ce grand voyage, et
s'apprêtait le faire pour la troisième fois le soir
dont nous parlons.
L'hoggia, docteur de la loi, fit asseoir le pèlerin
ses côtés, sur le divan.
On apporta des pipes et du café. Après une
longue conversation sur les affaires du jour, sur la
conquête du reste de l'Europe chrétienne, qui était
dans les projets du sultan, mais que le bras de Dieu
arrêtait encore, le pèlerin prit un air plus grave,
et, posant une petite cassette sur les genoux du
docteur:
Hoggia béni, lui dit-il, voici venu pour moi
le temps de recommencer le saint pèlerinage; mais
la piété s'accommode fort bien des mesures com
mandées par la prévoyance: voici dans cette cas
sette quelques joyaux précieux. Assurément je ne
saurais mieux les confier qu'à toi, et je te prie de
les garder jusqu'à mon retour, déclarant au reste
que je suis étonné de la rencontrer sous la plume
de l'honorable rapporteur.
Mais la question est précisément de savoir si les
cinq individus avaient droit d'être convoqués. Nous
avons prouvé qu'il eu était ainsi. Si donc l'on a
négligé de faire la convocation, ou a commis une
irrégularité. Eh bien, une omission illégale peut-
elle ravir un droit fondé sur la loi
Mais le droit de participer l'élection, ayant
pour étai l'iuscription sur la liste, était indépen
dant de la volonté du bourgmestre ou du secrétaire,
et l'on voudrait que ce que ces fonctionnaires ne
pouvaient nous enlever par un acte positif, ils
pussent l'anéantir par une simple omission! Cela
ne peut être sérieusement maintenu.
En droit, l'opinion de la commission est direc
tement opposée au principe de la permanence des
listes, écrit dans la loi électorale. L'économie de
cette loi est évidente. La qualité d'électeur est at
tachée l'inscription sur la liste jusqu'à ce que la
radiation effective soit exécutée en vertu d'un acte
légitime de l'autorité publique. Méconnaître cette
doctrine, c'est remettre en problème toutes les
élections quelconques, c'est les livrer la merci du
pouvoir exécutif qui pourrait facilement, s'il le
voulait, exclure de l'enceinte législative tous les
hommes dont il redouterait l'indépendance.
Je De m'arrête pas au fait signalé dans le rap
port et que la commission elle-même a écarté,
consistant dans la non-convocation d'un électeur.
La convocation spéciale n'a jamais été considérée
comme une formalité substantielle. Les électeurs
sont convoqués en vertu de la loi même qui fixe
les jour et heure de la réunion ordinaire des col
lèges électoraux pour élire les membres des Cham
bres législatives. Us sont spécialement appelés par
un arrêté royal, que tous les citoyens sont réputés
connaître après sa publication légale et que cette
promulgation reud même obligatoire pour tous.
La convocation qui doit être faite au domicile
de chaque électeur séparément est donc une for
malité surabondante qui ne peut être considérée
comme essentielle et prescrite peine de nullité.
Messieurs, il importe peu, surtout daos la com
position actuelle du parlement, qu'un membre
professant telle ou telle opinion politique vienne
prendre place parmi nous; mais ce qui est indis
pensable, c'est que la majorité soit juste envers la
minorité. Ce n'est qu'à cette condition qu'elle
conserve sa force et son influence. Les majorités
se déconsidèrent, elles se suicident par des abus de
pouvoir. C'est l'injustice qui toujours produit des
réactions. Si l'on veut que la majorité laquelle
t'en faire héritier si je venais mourir dans ce
voyage.
Ne parle pas ainsi de mourir, Osman. N'es-
tu pas jeune encore? Si l'un de nous deux doit
bientôt quitter la terre, il est supposer que ce
sera plutôt moi-même que toi. Mais il n'importe.
J'accepte le dépôt que lu me fais et je t'assure qu'il
ue pouvait être mis en de meilleurs mains.
Je comptais bien sur ton obligeance, Hoggia,
et je te remercie. A celle heure, il ne me reste plus
qu'à te dire adieu.
Quoi déjà est-ce que tu vas bientôt partir
Toutes mes dispositions sont faites pour que
je commence mon pèlerinage cette nuit même.
Trois Arabes se tiennent la porte des Roses pour
me remetre le bâton d'érable, et si tu veux bien
me le permettre, je vais te quitter sans plus at
tendre.
Va donc, OstnaD, et qu'Allah te mène par
la main, dit l'hoggia.
En même temps ils s'inclinèrent l'un et l'autre,
et après avoir baisé le bas de la robe du docteur, le
pèlerin s'éloigna par un petit sentier du Champ
des morts.
Pour être continué.)