FRANCE. Paris, 5 avril
La crise ministérielle ne paraît pas en
core toucher un dénouement. Cependant
l'inquiétude gagne sérieusement l'opinion
publique. M. OdilonBarrot vient d'adresser
au journal l'Ordre une lettre destinée
compléter ou rectifier les deux lettres du
maréchal Bugeaud et du général Bedeau.
On annonce qu'aujourd'hui, M. de
Lamartine doit prendre la rédaction en
chef du Pays, qui se réunira ensuite au
Conseiller du Peuplerédigé par le même
écrivain. M. de Lamartine doit soutenir,
dit-on, dans le Pays, le principe de la ré
vision de la Constitution et de la réélection
du Président avec les idées de la gauche.
ALLEMAGNE.
SUISSE.
On lit dans le Bulletin de Paris
Le rapport de M. de Riancey sur le projet de
loi organique de la garde nationalequi a été dis
tribué hier, ne nous paraît répondre nullement ce
qu'on eu attendait.
La garde nationale, telle que la veut M. de
Riancey, serait a peu près la garde nationale telle
que nous l'avons aujourd'hui. Or, le bien qu'elle a
fait ne nous semble pas suffisant pour oublier le
mal qu'elle a laissé faire... La garde nationale ne
peut être utile qu'à la condition d'être sérieusement
épurée; et nous ne comprenons pas trop que l'on
veuille confier un fusil celui au vote duquel la loi
n'ose pas se fier.
Nous lisons aujourd'hui dans l'Écho de Vè-
sone, que l'éditeur de ce journal vient d'adresser
M. le général de Bar, pour être déposées sur le
bureau de l'Assemblée, treize pétitions demandant
la révision de la Constitution et la prorogation des
pouvoirs du Président. Ces pétitions sont revêtues
de 763 signatures, sur environ 1,100 électeurs qui
peuvent signer dans les communes d'où elles éma
nent.
Les membres de la famille d'Orléans vont
quitter l'Angleterre pendant Quelques mois. Le duc
de Nemours se rend en Allemagne, le duc d'Au-
male part pour Naptesavec la princesse sa femme,
et l'ex-Reiue Marie-Amélie ira Bruxelles auprès
de ses petits-enfants.
Quelques mis intimes de la Ëanille se disposent
quitter Paris, afin de voir les princes avant leur
séparation.
Les journaux ministériels parlent d'une lettre
qu'on se passait hier l'Assembiee sur les bancs de
la droite et qui présentait les département»du Midi
et particulièrement ceux des Landes et toute la
chaîne des Pyrénées comme étant livrés une pro
pagande démagogique des plus actives.
Les lettres de Venise sont remplies de détails
sur l'entrée et le séjour de l'Empereur d'Autriche
dans cette ville. On nous écrit que, dans la journée
du 28 mars, l'Empereur et le comte de Chambord
ont échangé leurs visites. Le comte de Chambord
était accompagné de MM. de Lévis, de Falloux et
de La Ferronnays. Xe prince a voulu présenter
lui-même h S. M. I. ces trois messieurs, doot les
noms rappellent de» services rendus différentes
époques, et jusqu'en ces derniers temps, la France
et la grande cause de l'ordre.
Tous les journaux sont d'accord, ce matin,
dans leurs revues commerciales, pour signaler le
malaise qui existe dans les transactions commerciales
et dans les fabriques. Une partie des ouvriers de
Paris ont été congédiés de leurs ateliers. Les ma
nufactures de calicots des Vosges ont démonté une
partie de leur» métiers, et le même symptôme
existe Lyon, Saint-Étienne, et dans tous les
centres industriels.
On mande de Liessies (Nord), la date du
2 avril Hier, vers six heures du soir, il est ar
rivé Liessies un accident des plus déplorables:
Un éboulement de terres, provenant d'un terrain
très-en pente, au pied duquel est construite la
maison du sieur Tournay (Jean-Baptiste), caba-
retier eu ce lieu, est venu s'arrêter contre les
murailles de cette habitation. Tout coup un
craquement se fait entendre, et la famille Tour
nay, épouvantée, sort la hâte; mais un enfant de
huit ans, qui était malade, était resté couché dans
un cabinet au premier étage.
Son frère aîné, Joseph Tournay, âgé de 28
ans, se précipite dans la maison, malgré les cra
quements redoublés, saisit son frère dans ses bras,
descend et se dirige vers la porte; mais par un
malheur inouï, il arrive peine près de la porte
d'entrée, que la maison croule complètement, et
engloutit les deux malheureux sous ses ruines.
Des secours sont immédiatement porfés, et ce
n'est qu'après trois quarts d'heure environ d'un
travail empressé, que l'on parvint a les débarrasser,
mais ils avaient cessé de vivre.
Révision de la constitution, prérogation des
pouvoirs du président; voilà le thème sur lequel
depuis un mois tous les journaux de Paris brochent
chaque matin un article pour ou contre. H y a
longtemps naturellement que les organes des divers
partis se répètent et ressassent les mêmes argu
ments. Mais ce qu'il y a de curieux au fond de ce
tohu-bohn de déclamations, de protestations et de
prétentions de tout genre, c'est que tous commen
cent invariablement par constater que la France
est perdue si l'ancien parti de l'ordre ne se reforme
sans retard, et finissent par déclarer non moins in
variablement qu'un rapprochement est impossible.
Cependant eu présence du danger qui grandit
de jour en jour, le» hommes intelligents des frac
tions divisées de la majorité semblent vouloir pré
parer une nouvelle union. Ou s'aperçoit qu'on a
les mêmes intérêts empêcher que la révolution
ne creuse un sillon de plus dans ce malheureux
pays déjà si divisé; et l'agitatiou recrudescente,
qui pose nettement la question entre le président
de la République et le socialisme, achève de des
siller les yeux qui sont eucore accessibles la lu
mière.
Les lettres de Venise viennent confirmer ces
dispositions naturelles. M. de Falloux, doot l'esprit
aussi généreux que prévoyant, s'est donné la mis
sion de sauver sou pays par une réconciliation pa
triotique de toutes les bonnes pensées,écrit, dit on,
qu'il a trouvé les voies préparées pour cette grande
pacification des partis. On donne sur sa correspon
dance des détails qui fcinf croire que sa négociation
obtiendra le succès qu'elle mérite.
Jeune et laborieuse ouvrière, Élise D... est
restée orpheline dès l'âge le plus tendre. Demeu
rant Saint-Denis, chez son oncle, souvent elle
rencontrait sur son passage un jeune employé.
Elle écoula les propos galans qu'il lui tint; elle
reçut les lettres qu'il lui écrivit, et enfin, pleine de
foi dans les promesses de mariage du jeune homme,
la pauvre fille ue résista pas la séduction. Uu
jour, elle lui annonce qu'elle allait être mère, et
le supplia d'aller trouver sou oncle; il le lui pro
mit, mais dès le lendemain il disparaissait de Saint-
Denis. Bientôt il ne fut plus possible Élise de
dissimuler le résultat de sa faute. Craignant les
reproches de son oncle, elle le quitta; après lui
avoir exposé dans une longue lettre les motifs de
sa déterminationet vint habiter une modeste
chambre garnie, rue Guisarde, Paris.
- Devenue mère, elle travailla courageusement;
mais obligée de soigBer eUe-mème son enfant,
qu'elle n'avait pu placer eu nourrice faute de res
sources nécessaires, elle voyait, chaque jour, sa
misère devenir plus grande.
Quelques ouvriers, ses voisins, lui vinrent sou
vent en aide; mais, pauvres eux-mêmes, ils ne
pouvaient faire de grands sacrifices. Cette triste
position affecta vivement Élise. On ne tarda pas
remarquer un certain dérangement dans ses fa
cultés mentales, et on lui conseilla d'écrire son
oncle, qui ue pourrait manquer de la secourir
lorsqu'il connaîtrait sa détresse.
Il y a quelques jours, vers six heures du matin,
Élise entrait chez une de ses voisins, ayant son
enfant avec elle Je pars, dit-elle avec exalta
tion... Je vais trouver mon oncle; il est bon, il
m'aime... Il me pardonnera lorsqu'il connaîtra mon
malheur. Et elle partit.
Le même jour, vers deux heures de l'après midi,
une jeune fille aux vêtemens en désordre, aux che
veux épars, et qui parcourait d'un pas précipité les
rues de Saint-Denis, attira l'altentiou des passans.
C'était Élise. Plusieurs personnes la reconnurent,
et son oncle, qu'on s'était empressé d'avertir, la
rejoignit et la questionna. Elle ne lui fît que des
réponses incohérentes, mêlées d'éclats de rire. La
malheureuse était folle!
Au moment où M. D... faisait tous ses efforts
pour emmener chez lui sa nièce, qui refusait de
marcher, en opposant la plus vive résistance, vint
passer uu cultivateur qui déclara avoir rencontré
dans la matinée cette infortunée sur la route de
Paris Elle portait, dit-il, sur ses bras un enfant
qu'elle accablait de caresses, en s'écriant Viens,
nous allons voir ton père
On demanda Élise ce qu'elle avait fait de son
enfant. A cette question, elle fixa tout coup celui
qui l'interrogeait, et, comme si elle cédait un
éclair de raison, elle s'écria d'une voix déchirante;
Ah! mon enfant Venez, venez, if est caché
là-bas... Puis elle se mit marcher rapidement,
et ne s'arrêta que lorsqu'elle fol arrivée sur le»
bords dupetit ruisseau appelé le Montfort. Après
avoir cherché pendaut quelques insians, elle dé
signa une sorte d'anse formée par ce ruisseau en
disant C'est là qu'il est caché... il dort...» En
suite elle prit la fuite en riant aux éclats.
On examina l'endroit indiqué, et on y trouva
le cadavre d'un enfant âgé de quelques mois, et qui
avait succombé une asphyxie par immersion.
Élise, sans doute, avait cédé une hallucination
produite par sob état de falie, en plaçait! son en
fant dans ce ruisseau, où il devait trouver la mort.
Après une enquête faite par l'autorité, et qui a
constaté les faits que nous venons de rapporter,
l'infortunée Élise a été placée l'hospice des alié
nés. Gazette des Tribunaux.)
La lettre suivante, scellée de trois cachets
noirs, et portant le timbre-poste d'AIbi, 3t mars,
a été adressée M. de Poroldil, rédacteur du Con
ciliateur de Tarn
Monsieur le rédacteur,
Si vous gagnez l'affaire qui est intentée contre
vous (un procès de presse), soyez-en sûr, nous
preudrons la revanche en i8â2, et quoique le mil
lésime ne soit pas écrit en lettres ronges, nous les
y peindrons avec te sang de ceux qui nous ont
tenus dans cet esclavage moral où nous sommes
depuis bien des années.
Soyez-en sùr, monsieur, ce temps arrivera
plus tôt que vous ne voudriez.
Adieu de Porrodil, deux républicains.
L'Allemagne est sur le point de sortir du pro
visoire où elle se trouve depuis la grande catas
trophe de 48. Répudiée pendant longtemps par
un certain nombre d'États la tête desquels mar
chait la Prusse, la diète va être reconnue par ces
différentes souverainetés. Il est hors de doute, en
effet, que le gouvernement prussien a convié ses
alliés se faire représenter Francfort et que déjà
la plupart ont adhéré cette proposition.
La Prusse, pour justifier ce changement de po
litique, se fonde particulièrement sur les dangers
dont l'Allemagne pourrait être menacée si une
nouvelle insurrection venait éclater en France.
Toutefois les conférences de Dresde continueront
comme ci devant.
La prorogation des chambres prussiennes n'aura
probablement lieu qu'après les vacances de Pâques.
Le ministère, qui a la majorité dans le parlement,
mettra profit cette situation pour faire adopter
un aussi grand nombre que possible de projets
de loi.
On écrit de Berne, le 1" avril
Une grande partie des réfugiés français qui
séjournaient dans le canton de Vaud se trouvent
en ce moment Berne. Ils sont venus prier le gou
vernement fédéral de retirer l'arrêté du 27 mars
qui leur ordonne de quitter la Suisse. Le CoDseil
fédéral n'a pas cru devoir prendre en considération
leur demande. Mais il n'est pas moins vrai qu'il
s'élève quelques difficultés pour donner ces ré-