JOURNAL D'YFRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
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YPRES ET LA SORBONNE.
L'AVEUGLE D'ARGENTEUIL.
No 3509
34me année.
VÉRITÉ ET JUSTICE.
Ou s'abonne Ypres, rue'âe Lille, 10, près la Grande
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
l'RIX DE LMRO.VAEMEXT, par trimçptrc,
Ypres fr 3. £es autres localités fr 3-5o. Un n° 25.
Le Propagateur paraît le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine. Insertion* Il centimes la ligne).
7P3.3S, 17 MAI.
L'Univers a publié, dans un de ses derniers
numéros, une pièce fort curieuse. C'est une consul
tation de la Sorbonne sur la question, aujourd'hui
si ardemment et si laborieusement controversée, de
l'assistance publique.
Après la réforme de Luther, la mendicité, qu'on
avait prétendu éteindre par la spoliation et la sup
pression des couvens, prit des développemens im
menses. Charles-Quint commanda de punir du
fouet et de la prison tout mendiant qui serait trouvé
dans ses États.
Son but était de supprimer la mendicité. Le
moyen se ressentait de l'état violent où le mouve
ment révolutionnnaire avait jeté tous lesesprits.il
était injuste; et il ne pouvait pas être efficace. Parmi
les villes qui se mirent e/i devoir d'obéir h l'or
donnance, Ypres pensa qu'il fallait préalablement
pourvoir aux besoins des pauvres. Le sénat orga
nisa un large système d'assistance publique que
nous allons exposer brièvement.
D'accord avec le curé de Saint-Martin d'Ypres
et les principaux membres du clergé, il établit un
ministère des pauvres dont la mission était de
nourrir, de vêtir, de loger les indigens, de fournir
du travail aux mendians valides, de former les ado-
lesceus a l'élude des arts mécaniques ou libéraux,
suivant leurs dispositions. Quatre notables, choisis
par les magistrats, durent s'en adjoindre quatre
autres par chaque paroisse de la ville, et tous en
semble, entendre, une fois toutes les semaines, les
plaintes des pauvres, afin de faire qu'aucun d'eux
ne les quittât avec tristesse et sans avoir vu son vœu
satisfait. Une bourse commune fut fondée pour
l'entretien des nécessiteux. Des syndics durent
ANECDOTE NORMANDE DU XVl' SIÈCLE.
[Suite.)
a Rassurez-vous, lui dit Laurent Bigot, et pardonnez-moi
de n'avoir point abrégé vos angoisses. Le parlement sait tout,
et vous excuse. Aujourd'hui même les chambres se sont as
semblées ma demande pour statuer sur cette affaire. J'ai
parlé pour vous avec toute la chaleur d'un homme qui vous
estime et vous aime mais vos trente années de travaux et
d'intégrité ont plaidé plus éloquemment que je n'aurais su le
faire. La procédure que Martel a osé commencer contre vous
est suspendue pour trois mois; le procès relatif l'assassinat de
Zambelli est évoqué au parlement Martel va être transféré
la conciergerie. Tout me dit qu'en lui vous avez trouvé le vrai
coupable: mais où sont les preuves où est le corps du délit?
C'est ce qu'il faut découvrir. Dans deux jours je partirai; j'irai
sur la route de Rouen Paris, chercher, de village en village,
les traces d'un grand crime qui doit y avoir été commis. Es
pérons que mes soins ne seront pas perdus.
Instruit de tout, j'aurais dû, sans doute, vous interrompre et
vous rassurer; mais j'ai obéi ui\ sentiment que vous com
prendrez, puisque vous êtes magistrat et père. Emeric, mon
tils, et vous, Étieune Pasquier, destinés tous deux revêtir un
jour la toge, vous Emeric me succéder peut-être; vous,
Pasquier, briller au parlement de Paris ou dans quelque
autre cour souveraine, sachez que, s'il n'est permis personne
de faire le mal eu vue d'un bien, le juge surtout ne doit jamais
chercher la vérité par le mensonge, cl faire lui-même ce qu'il
est de son devoir de poursuivre, de condamner dans les autres.
rendre compte, chaque semaine, des recettes et
des dépenses, devant le sénat et les magistrats as
semblés, dans la forme usitée pour le contrôle des
deniers publics. Les curés eurent spécialement
charge de rechercher et de consoler les pauvres
honteux, le sénat voulant, pour parler son langage
si excellemment catholique, qu'on allât frapper
aux portes de ceux qui n'osaient frapper aux nô
tres, que la nourriture prévînt la failli et que l'au
mône fût plutôt accordée que demandée. Une
maison de refuge fut fondée pour recevoir les pau
vres étrangers la ville et pour les.fcarder pendant
deux ou trois jours et quelquefois pjus;.après quoi
ils devaient chercher un autre gîtçgafin de ne pas
épuiser les ressources de la cité, et aussi, ajoutent
dans l'effusion de leurs seniiniens chrétiens les
bons magistrats d'Ypres, fc parce qu'il ne faut pas
que les autres villes manquent d'occasions pour
exercer la miséricorde, tandis que chez nous elles
excéderaient nos forces.
C'est surtout en matière de charité que nous
n'avons rien inventé. Hélas! nousisommes si loin
de l'esprit qui avait posé les basetfde cette insti
tution charitable, qu'à peine polivons-nous eu
comprendre le langage, qui n'est pourtant que
l'expression de la doctrine de l'Evjangile! Certes,
après avoir accompli son œuvre, lé Sénat d'Y'pres
pouvait en jouir dans la paix de sa conscience. 11
ne se reposa néanmoins, ni sur l'utilité évidente du
ministère qu'il avait établi, ni sur: les bons fruits
qu'il en avait retirés, ni sur la pu rie de ses inten
tions. Il trouvait bien que l'institution était gran
dement l'avancement et secours ths vrais pauvres
et au repos du peuple de la communauté; mais
pour ce qu'il en désirait bien l'entrelenemenl et
la continuation, et qu'il u'aurait voulu faire chose où
aurait pu être scrupule ou charge de conscience,
il eu écrivit la Sorbonne, le 28 décembre i53o,
donnant charge aux deux porteurs de sa lettre,
de faire examiner ou consulter sadite ordonnance
et d'informer la Sorbonne du tout des circonstances
et dépendances d'icelle pour, le tout vu et ouï sur
ce, eu avoir un avis et ordonnance.
Nous ne dous arrêterons pas au caractère de cette
communication qui montre cependant comment les
De tels moyens sont indignes d'un magistrat le succès le plus
éclatant ne saurait les absoudre La justice et la vérité sont
sœurs, le juge ne doit point les séparer. Attendons tout du
temps, qui dévoile bien des mystères. Horace votre poêle le
disait tout l'heure: Rarement le coupable a pu se soustraire
au supplice qu'avait mérité sou crime.
A trois semaines de là, dans le village d'Argenteuil, régnait
une agitation extrême. Les habitants avaient suspendu leurs
travaux, quitté leurs demeures; ils étaient tous réunis la
porte de l'hôtel du Heaume et les voir partagés en groupes,
s'entretenir avec feu, interroger avidement ceux qui sortaient
de l'hôtellerie, il était clair que dans cette maison, il devait
se passer quelque chose d'étrauged'inaccoutumé. En effet,
dans la vaste salle commune de l'hôtellerie, transformée, ce
jour-là, en salle d'audience, Laurent Bigot, assisté du bailli
d'Argenteuil, interrogeait les nombreux témoins d'un fait
déjà un peu ancien.
Combien de démarchesd'effortsavait fait ce zélé magis
trat, depuis le jour où il avait quitté Rouen! Combien de
villages il avait visités! Combien d'officiers subalternes il avait
questionnés, sans trouver le moindre indice du crime dont il
cherchait les traces! Fuis, au moment où, désespérant du suc
cès, il allait songer au retoursoudain un éclair avait lui. On
était venu lui dire que, quelques mois avant, un cadavre avait
été découvert dans des vignes, près d'Argenteuil. Bigot s'était
empressé de s'y rendre; il venait de voir ce corps demi-
rongé par les bêtes, et, dans l'état où étaient ces tristes restes,
il avait été facile de reconnaître des rapports entre eux et la
taille très-élevée du malheureux Zambelli, telle qu'elle lui
avait été décrite par Cornélio son frère. Le bailli commen
çait, haute voix, la lecture des actes dressés lors de la découverte
peuples e'taient alors unis par les liens de la fra
ternité' e'vangélique, et dans la quelle on reconnaît
la mission d'enseignement et de la civilisation que
la France remplissait remplissait parmi les nations
chrétiennes. Nous avons hâte d'arriver la consul-
talion de la Sorbonne que nous voulous citer tout
entière. Elle est la date du 16 janvier 1531Elle
a été délibérée en assemblée générale, au couvent
de Saint-tVIatliurin. Voici le texte qu'en a publié
Y Univers
Le doyen et la Faculté de sacrée théologie de
l'École de Paris, tous ceux qui liront et enten
dront notre présent édit, salut.
La forme de provision des pauvres conçue par
la magistrature d'Ypres, et exprimée dans l'exem
plaire latin qui est joint notre censure, nous
paraît être une chose ardue, mais utilepieuse et
salutaire, qui ne répugne ni aux lellresévangéliques
et apostoliques, ni aux exemples de nos ancêtres,
si on observe ce qui suit etc.
La Sorbonne n'approuve pas seulement la forme
de provision des pauvres conçue par ta magis
trature d'Ypreselle la déclare formellement
utile, pieuse et salutaire. Ses recommandations
ne vont d'une part qu'à la rendre plus efficace, de
l'autre qu'à faire qu'elle ne dispense pas les fidèles
catholiques d'exercer les œuvres de miséricorde.
Elle retient d'une manière très expresse deux cho
ses La première est le droit pour le pauvre de
demander l'assistance du riche quand il n'a pas été
pourvu suffisamment et honnêtement ses besoins.
C'est aussi le seul droit qu'elle lui reconnaisse. La
seconde chose qu'elle relient avec empire, c'est
l'obligation pour les riches de subvenir aux be
soins des pauvres qu'ils savent être absolument ou
peu près dénués de ressources. Elle y insiste
beaucoup plus vivement que sur le droit de la
pauvreté; et loin d'accorder que la contribution
la bourse commune puisse suffire la charité des
fidèles, elle veut que le peuple soit averti de faire
avec uu esprit d'allégresse et d'ardeur des largesses
surérogatoires des biens que le Seigneur lui a dé
partis.
L'assistance, dirons-nous avec la Sorbonnç, est
vue chose ardue, mais utile, pieuse et salutaire.
du cadavre, lorsque tout coup un ori perçant vint l'inter
rompre; et, au même instant, un vieillard aveugle, que per-
sonne n'avait encore remarqué, se présenta au magistrat et
l'assistance. Il semblait eu proie une vive agitation et faisait
signe qu'il avait quelque chose dire. C'était le vieux Gervais,
pauvre mendiant, né dans ce pays où il était aimé de tous.
Lorsque ses courses le ramenaient Argenteuil, on le logeait
dans l'hôtellerie. Il venait d'y arriver, revenant d'une longue
tournée, et il était allé s'asseoir inaperçu sur un des deux
bancs de pierre pratiqués dans l'intérieur de l'immense che
minée. C'était de là qu'il s'était élancé en poussant un cri,
lorsqu'en prêtant l'oreille, ce que lisait le bailli, il avait
entendu parler d'un cadavre découvert dans les vignes. Mais
absent depuis longtemps d'Argenteuil, que pouvait-il savoir?
Aveugle, d'ailleurs, que pouvait-il avoir dire? Laurent Bigot
regardait avec une sorte de respect celte belle et noble ligure
de vieillard, dont la sérénité semblait un défi au malheur.
Infortuné, dit-il, que pouvez-vous avoir nous apprendre
Mais remis d'un premier mouvement dont il n'avait pas été le
maître, l'aveugle mainteaut paraissait embarrassé et indécis
Ah! monseigneur, puis-je parler? dit-il; n'y a-t-il point de
danger pour ma vie? Et il tournait de tous côtés sa tête
blanche, d'un air de défiance et d'effroi. Parlez, parlez eu
liberté, lui dit Bigot; mais encore uue fois, que pouvez-vous
savoir
Alors le vieillard raconta qu'il y avait huit ou neuf mois
environ, partant d'Argenteuil pour aller en pèlerinage, il était
sur les hauteurs qui dominent la paroisse, lorsque, averti par
les aboiements de son chien, il prêta l'oreille et s'ariêta. Une
voix d'homme, mais faible, plaintive, suppliante, se faisait
entendre. Monstre! s'écriait cette voix, ton maître! ton