pas bientôt rétablir une fortune aussi dé
labrée.
Mais Gustave ne mourait pas, il avait
même formé depuis le mois de juillet de
nouveaux projets de mariage qui contra
riaient vivement les accusés et qu'ils cher
chèrent rompre par l'entremise du no
taire Cherquefosse.
La comtesse elle-même écrivit ensuite,
son frère, deux lettres qu'on a retrouvées
depuis sa mort et qui reproduisent contre
M"° de Dudzeele, les calomnies auxquelles
on avait eu recours dans une lettre ano
nyme du mois d'août.
Ces tentatives, cependant, n'avaient eu
aucun résultat, mais il restait au comte un
dernier moyen et un moyen plus efficace
pour atteindre son but.
Après avoir, en effet, cultivé des plantes
vénéneuses en 1849, il s'était présenté au
mois de février 1850, sous le faux nom de
Bérant, chez M. Loppens, professeur de
chimie l'école industrielle de Gand, et
il l'avait prié de lui faire connaître les
instruments propres extraire les huiles
essentielles des végétaux, en lui disant
qu'il avait vu les sauvages de l'Amérique
empoisonner leurs flèches avec le suc de
certaines plantes et qu'il faisait de recher
ches cet égard dans l'intérêt de ses pa
rents qui habitaient encore les Etats-Unis.
11 avait particulièrement consulté Lop
pens sur la manière de distiller l'huile es
sentielle du tabac, c'est-à-dire la nicotine,
et il avait commandé au chaudronnier Van-
denberghe sur les indications du professeur
de chimie, un appareil en cuivre jaune
dont il vint prendre livraison le onze mars.
De retour Gand au mois de mai, l'ac
cusé fit voir Loppens un premier échan
tillon de nicotine qui n'avait pas réussi.
11 recommença donc l'opération sous ses
yeux et après y avoir travaillé deux jours
dans son laboratoire, il parvint obtenir
deux gouttes de nicotine pure; il revint
encore quelque temps après avec un autre
échantillon, qui n'avait pas mieux réussi
que le premier. Loppens lui donna alors
de nouveaux conseils et l'accusé lui an
nonça enfin dans un troisième voyage, au
commencement d'octobre, qu'il avait ob
tenu des résultats foudroyants sur les ani
maux.
11 ne lui restait plus dès lors qu'à se
procurer les substances et les instruments
nécessaires pouropérersuruneplusgrande
échelle et poursuivre le procédé de Sehloe-
sing que Loppens lui avait signalé comme
le meilleur que décrivent Pelouze et Frémy
dans leur cours de chimie générale. Mais les
achats nécessitaient de nouveaux voyages
que l'accusé fit Bruxelles le 16 et le 28
octobre. Après avoir travaillé sans inter
ruption dix jours et deux nuits il réussit
enfin le 10 novembre obtenir les deux
fioles de nicotine qu'il devait employer le
20 et qu'on n'a plus retrouvées depuis la
mort de Gustave.
Quant aux instruments de chimie qui
avaient servi cette préparation, le comte
eut soin de les faire disparaître immédia
tement. Les domestiques du château ne
purent même donner aucune indication
leur égard, et il n'a pas fallu moins de six
semaines pour les découvrir dans une ca
chette où le comte les avait mystérieuse
ment déposés.
Celte précaution, tout le monde en con
viendra, s'accordait très peu avec des tra
vaux scientifiques, ou avec des recherches
faire pour un autre conliuent. 11 en est
de même du faux nom de Bérant que le
comte prenait toujours dans ses rapports
avec Loppens et Vandenberghe, tandis
qu'il ne reniait pas au moni-de-piélé de
Bruxelles son véritable nom de famille.
Il est donc permis de croire qu'il avait
déjà conçu, au mois de février, le crime
qu'il devait commettre au mois de no
vembre; sa propre mère en avait en quel-
quesorlelepressenliment,puisqu'elle disait
un jour sa belle-fille: qu'Hippolite était
capable de tout, qu'il pourrait faire un
malheur avec sa chimie et qu'il ne lui
manquerait plus que de voir son fils en
cour d'assises.
L'empressement avec lequel il travaillait
nuit et jour indique d'ailleurs assez claire
ment le but qu'il se proposait une époque
surtout où les idées de mariage avaient
repris tout leur empire sur Gustave; et la
comtesse elle-même du finir par avouer
ce but puisqu'elle dit textuellement dans
un de ses interrogatoires: Mon mari spé
culait sur la mort de Gustave, c'était sa
fortune qu'il convoitait, c'est elle qui lui
a fait décider sa mort; il vivait trop long
temps ses yeux.
Dès les premiers jours de novembre,
je sus que le poison était préparé pour
Gustave, je sus de plus que ce poison était
de la nicotine; mon mari me l'a dit lui-
même daus l'arrière-buanderie, le jour où
j'ai vu la grande cornue dans la chaudière
d'huile, et où il me dit qu'il me faisait de
l'eau de Cologne. J'ai fait mille instances
pour savoir ce que réellement il élaborait,
et il a fini par m'avouer que c'était de la
nicotine.
Quelques jours après il m'a dit que la
première fois que l'occasion s'en présen
terait il ne manquerait pas Gustave, et le
20 novembre en apprenant qu'il viendrait
Bilremoni, il me déclara, ajoute la com
tesse, qu'il lui ferait ce jour là son affaire.
Gustave, en effet, vint dix heures; il
ne fallait qu'un mot pour le sauver, et la
comtesse passa toute la journée avec lui,
sans l'informer du danger qu'il courait;
elle donna même des ordres qui devaient
assurer l'exécution du crime en éloignant
ceux dont la présence habituelle aurait
pu l'entraver. C'est ainsi qu'elle fît dîner
par exception, l'aîné de ses enfants et
l'institutrice, dans la chambre de cette
dernière, au lieu de les admettre sa table,
où ils dînaient tous les jours, et qu'elle fit
souper ses deux petites filles dans la cham
bre de leurs bonnes au lieu de les faire
souper, comme d'ordinaire, la cuisine.
11 est vrai que l'on entend la cuisine ce
qui se passe dans la salle manger.
C'est ainsi qu'elle envoya encore son
cocher Vandenberghe Grandinetz avec
une lettre pour les dames de Dudzeele,
quoiqu'il eût par l'arrivée de Gustave un
cheval de plus soigner, et quoique la
lettre n'eût d'autre but que de demander
ces dames le prix qu'elles attachaient
leur mobilier de culture.
Le message n'avait donc rien d'urgent,
mais la distance parcourir éloignait le
cocher pour quatre ou cinq heures, et
lorsqu'ensuite la comtesse ordonna sa
femme de chambre Em. Bricourt de servir
la lableen remplacement de Vandenberghe,
elle eut encore soin de lui dire qu'elle de
vrait se retirer après le second service.
Emérence Bricourt ne reparut donc la
salle manger qu'au moment où elle
croyait qu'on aurait besoin de lumière et
les accusés qui elle venait en offrir lui
répondirent tous deux en même temps:
non, non, plus lard,
En se retirant Emérence était allée la
cuisine où dînait le cocher qui rentrait de sa
course Grandmelz. La comtesse l'y avait
suivie et l'avait fait monter la chambre
des enfants, où se trouvaient déjà les deux
bonnes Justine Thibaut et Virginie Che
valier. Elle avait dit aussi Vandenberghe
d'accompagner jusqu'à la route de Leuze,
éloignée d'environ un kilomètre, la cuisi
nière Louise Maes qui retournait chez elle.
Vandenberghe s'était donc remis en route avec
Louise, mais il n'avait pas tardé reconnaître qu'il
était trop tard pour que cette fille pût voyager, et
comme elle n'avait pas d'argent pour loger en route
il l'avait raineuée au château et il en avait informé
ses maîtres qui étaient encore dans la salle man
ger avec Fougnies, Gustave avait déjà manifesté
alors l'intentiou de partir, le comte avait même
chargé François Deblicquy, qui travaillait au jardin,
d'atteler sa voilure; mais l'écurie était fermée et
Vandenberghe en avait la clef. Il était peine de
retour au château que le comte vint la cuisine
pour lui donner le même ordre qu'à Dublicquy.
Le cocher prit donc la lanterne, il se rendit h
l'écurie et le comte reulra dans la salle manger,
Justine Thibaut descendait en ce moment pour
chercher le souper des enfants que la comtesse
avait précisément éloignés de la cusine ce jour là
comme nous avons eu l'occasion de le dire; par
venue aux dernières marches de l'escalier, elle en
tendit une chute dans la salle h manger et la voix
de Gustave qui appalait du secours eu criant Aie,
aïe, pardon, Hippolyte! Elle courut donc h la
cuisine en traversant l'office qui la sépare du ves
tibule et de la salle h manger, et elle vit bientôt
que la comtesse sortait de la salle manger, qu'elle
entrait dons l'office et qu'elle fermait les portes de
ces deux chambres de manière h empêcher le cris
de Gustave de parvenir la cuisine.
Plus effrayée encore cette vue, la fille Thibaut
s'empressa de gagner la cour par un dégagement.
Elle passa donc contre les fenêtres de la salle h
manger d'où sortaient encore des cris éloufiés, et
elle remonta alors la chambre des enfants par
l'escalier du vieux quartier. Eméreuce qui s'y trou
vait descendit alors pour offrir ses services, mais
elle n'entendit plus aucun bruitet la comtesse la
fit remonter en la voyant au bas de l'escalier.
Les violences remarquées plus tard sur le ca
davre excluaient l'idée d'une surprise ou d'un
suicide. Elles prouvaient, au contraire, une lutte
acharnée, car lorsqu'on réfléchit que pour faire
avaler du poison h la victime il fallait tout la fois
lui ouvrir la bouche et empêcher les mouvements
de droite ou de gauche que la tête aurait pu faire,
il est presqu'impossible d'admettre que le crime
soit l'ouvrage d'une seule personne.
Comment concevoir en effet que le comte de
Bocarmé dont la main gauche, entaillée d'une dou
ble morsure, se trouvait engagée dans la bouche de
Gustave, et qui n'avait pas trop de sa main droite
pour lui assujétir la tète et les bras, ait encore pu
de lui-même et sans secours étranger, lui verser
dans la bouche une fiole de nicotine? Une autre
personne a donc nécessairement participé l'action,
et il n'y avait que le comte et la comtesse dans la
salle a manger au moment où Justine enteudit la
chute et les cris de Gustave. Aussi l'accusé écri
vait-il, le 12 mars dernier, a un correspondant de
Paris
Ma femme vous a fait demander d'engager
Berryer; ne le faites pas et si l'engagement est fait,
suspendez-le jusqu'à nouvel ordre de ina part,
mais entretenez-la dans l'idée qu'elle saura... De
celte recommandation dépend sa vie ainsi que
la mienne. Imaginez-vous que celle malheu
reuse, après avoir empoisonné son frère ne
trouve rien de mieux pour se défendre, maintenant
que nous sommes tous deux en prison pour ce fait,
que de mettre tout ma charge et de m'acouser
des crimes les plus atroces.
Ne répondez pas ce billet que je glisse en
jraude dans cette lettre-ci. N'oubliez pas que tout
les lettres que nous recevons sont ouvertes.
Lorsque Berryer sera engagé pour venir, ren
dez-lui compte de ce que je vous explique dans ce