1
damnation certaine pour les deux accusés. .Mais on
a bientôt appris que la délibération n'était point
encore terminée et que le jury avait appelé pour
demander un renseignement. Enfin, b dix heures
et demie, la sonnette se fait entendre de nouveau.
Cette fois c'était bien pour la reprise de l'audience.
Le jury est revenu prendre sa place; chacun cher
chait épier sur le visage des jurés le verdict qui
allait être rendu.
La cour crie l'huissier.
La cour occupe les sièges; le chef des jurés se
lève et d'une voix émue, il prononce la formule
consacrée
Sur mon honneur et ma conscience, devant
Dieu et devant les hommes, la réponse du jury est
Sur la première question oui.
Dés lors il n'y avait plus lieu h répondre sur les
autres questions concernant cet accusé. Le chef du
jury poursuit
Sur la 5°" question, la 6m% la 7"", la 8me
non.
Faites rentrer les accusés, dit le président, l'ac
cusé Bocarmé le premier.
On se rappelle que jusqu'ici c'était, au contraire,
Mme de Bocarmé que l'on avait toujours fait entrer
la première; mais si l'on eut encore agi ainsi, elle
eût dû passer devant son mari pour quitter le banc
de l'accusation, lorsque son acquiltementscrait pro
noncé.
L'accusé de Bocarmé est donc introduit le pre
mier. Il ne parait pas comprendre la signification
que doit avoir ce changement dans les places que
lui et sa femme ont occupées respectivement pen
dant tous le cours des débats. 11 est calme et impas
sible.
M me de Bocarmé est introduite immédiatement
après; son voile est rabattu sur son visage, elle
tient la tète baissée; mais sa démarche est pleine
d'assurance, et il est facile de voir a travers son
voile que si elle éprouve de l'émotion, celte émo
tion est au moins très contenue.
Le greffier donne lecture du verdict du jury. En
attendant le oui fatal qui le concerne, Bocarmé
conserve toute son impassibilité; peine une très-
légère coloration vient elle animer son visage. Mais
lorsqu'il entend le non qui répond a toutes les
questions qui concernent sa femme, une véritable
expression de bonheur se peiul sur sa figure; il
jette furtivement sur la comtesse un regard qui
semble plein d'une ineffable tendresse.
Mine de Bocarmé reste immobile; pas un mou
vement, pas un geste 11e trahit les sentiments qui
peuvent l'agiter ni joie pour elle, ni douleur pour
son mari.
Le président prononce son acquittement et or
donne qu'elle soit rendue immédiatement h la li
berté, si elle n'est retenue pour autre canse. En ce
moment, son mari jette sur elle un nouveau regard
Marcel voyait sa fiancée plusieurs fois par semaine, soit en
présence de la mère Guiraud, soit en compagnie de la com
tesse. Dans ces longs et doux, entretiens, le proscrit se glorifiait
de son amour, et remerciait Dieu de ce qu'il daignait le con
soler par la voix de l'un de ses auges. A chaque visite d'Élieu-
nette, Marcel avait l'occasion de sonder ce cœur noble et
dévoué, cette àrae ardente et pieuse, cette vertu sans tache et
naïve, et il subissait, avec une résignation toute chrétienne,
l'attente de l'heureux jour qui devait unir sa destinée cette
jeune fille, trésor de son avenir.
La comtesse, témoin de ce tendre amour, aurait voulu que
le mariage de Marcel et d'Étieunette fût célébré secrètement
dans la chapelle du château. Mais les deux fiaucés, dignes l'un
de l'autre, s'y refusaient avec un courage et pour plusieurs
raisous. D'abord, il eût fallu accepter le ministère dangereux
d'un prêtre assermenté, s'ouvrir lui, se fier lui. et recevoir
la bénédiction nuptiale des maius d'uu réprouvé de l'Église.
Marcel était trop enthousiaste pour payer de ce prix sou bon
heur. Puis, il eût fallu taire au citoyen Guiraud cette union
clandestine; Êtiennette était trop fière pour s'abaisser tromper
son père. Les deux jeunes gens 11e voulurent donc se livrer
qu'à leur espoir en Dieu, et ils îésolurent de faire hommage
de leur sacrifice la divine Provideuoe qu'ils bénissaient dans
leurs prières communes.
Toutefois, une nuit, en présence de la comtesse, du mar
quis et de Mrne Guiraud, les deux fiancés s'agenouillèrent au
pied d'un Clu istsur les degrés de l'autel dépouillé de la
chapelle, et s'engagèrent jamais leur foidéfiant toute puis
sance humante, toute tyrannie, de délier le serment qui les
unissait pour 1a vie.
Désormais, Marcel et Élieuueltc attendirentsans se pl a in
2
aussi tendre que le premier; ses yeux semblent
chercher ceux de sa femtne; mais elle se lève et
sort lentement sans même tourner la tête du côté
de son mari.
Pendant ce temps, M. de Bocarmé adresse h
Me Harmignies qui, la tète cachée dans son mou
choir, pleure abondamment, quelques paroles pour
le remercier d'avoir fait acquitter sa femme.
Le procureur du roi requiert l'application delà
loi. La cour se retire pour en délibérer, après avoir
demandé h l'accusé s'il a quelques observations b
présenter sur l'application delà peine. Il demande
a conférer quelques secondes avec son défenseur,
M De Paepe, puis il répond Rien, sinon que
je suis complètement innocent. Ces paroles sont
dites avec une certaine émotion dans la voix. Mais
il se remet bieutôt, et pendant que la cour déli
bère, il cause tranquillement avec MlS De Paepe
et Harmignies.
A onze heures, la cour rentre et prononce un
arrêt qui condamne Hippolyte Visart de Bocarmé
b la peine de mort, et décide que l'arrêt sera exér
cuté sur l'une des places publiques de Mons.
Me de Paepe demaude acte d'un fait de la pro
cédure qu'il compte invoquer comme moyeu de
cassation. La cour, après une nouvelle délibération,
lui eu donne acte; puis l'accusé est emmené tou-
jouts aussi calme et aussi impassible.
- On écrit de Mons, en date du i5
Le comte de Bocarmé s'est pourvu en cassation
ce matin. Ses avocats, MM s de Paepe et Lachaud,
ont visité ce matin le condamné qui est resté fort
calme eu apparence et résigné.
C'est hier, b la prison, que, sur sa demande, la
comtesse de Bocarmé a été reconduite pour y passer
le reste de la nuit. Elle a préféré recevoir l'hospi
talité de la supérieure des religieuses de la prison
que celle que lui offraient les dames de Mons ap
partenant aux familles de ses défenseurs.
Ce rnaliu, le notaire Dugniolle, l'homme d'af
faire de la famille de Bocanné, s'est rendu b la prison
pour conférer avec le comte et la comtesse, chacun
séparément.
La comtesse est sortie en voilure pour aller voir
passer la magnifique procession deSle Wadru chez
l'un de ses défenseurs. Il n'y a pas eu d'entrevue b
la prisou entre le comte et la comtesse. Ou dit que
madame passera encore la nuit b la prison et ne par
tira que demaiu pour aller rejoindre ses enfants.
On écrit de Mous, le 16 juiu, au soir
M"1" de Bocarmé, revenue d'Autrages, a quitté
Mons ce matin par le convoi de dix heures et s'est
rendue b Paris, où elle va se retirer dans uu cou
vent; elle abandonne le soiu de ses enfauts a la
famille de sou mari.
dre, la lin du règne des fous cl des furieux ils regardèrent en
pitié les agitations des barbares, et s'estimereut heureux du
secret que chacuu d'eux caressait dans sou cœur.
Cependant, la (évolution continuait sou œuvre de destruc
tion; la France, livrée ses bourreaux, subissait leurs plus
révoltaus caprices, et les hommes qui, par calcul, par égoïsme,
s'étaient abandonnés an courant des idées nouvelles, se voyant
débordés par les flots qu'ils avaient soulevés, dépassés par les
adeptes qu'ils avaient formés, se précipitèrent, saisis du vertige
de la peur, dans ce tourbillou de crimes que l'histoire a flétri
du nom de grande Terreur.
Tout ce qui avait résisté au vandalisme des premiers révo
lutionnaires tomba sous les coups des sectaires du hideux
triumvirat, et ceux qui voulurent s'opposer l'avalanche
auai chique, furent entraînés avec les victimes et les ruines
qu'elle renversa sur son passage.
Ce citoyen Guiraud comprit qu'il ne tarderait pas perdre
son influenceson autorité, sa popularité, s'il ne donnait pas,
ses administrés, un grand exemple de patriotisme et comme
ce n'était pas uu homme demi-mesures, il résolut de se
signaler par deux actions héroïques, si faire se pouvait.
La Gouvenliou venait d'octroyer la France une religion
nouvelle, le culte de la Raison. 11 s'agissait de célébrer, dans
la commune de Saiute-Pierre, la fête de la déesse républicaine,
et le jour de la cérémonie avait été fixépar uu décret su
prême, au 3o floréal.
Le choix de la municipalité ne s'était encore arrêté sur
aucune jeune fille; et, si démocrates que fussent les hahitans
du pays, il était assez difficile de trouver une femme qui osât
renier effrontément son Dieu pour parader sur l'autel impie
d'une grossière mascarade.
Avant de partir elle a rendu une dernière vi
site a M Toussaint, son avocat; la voiture qui la
conduisait était hermétiquement fermée et marchait
au grand trot, ce qui n'empêchait pas les gamins de
la suivre en foule en courant.
Le comte est l'objet d'une surveillance très-
sévère. Deux gendarmes et deux gardiens de la
prison lesurveillent.il leur est défendu d'adresser
la parole an comte et de répondre b ses questions,
b moins qu'elles ne soient tout b fait insignifiantes.
Le pourvoi en cassation est signé et le dossier
sera envoyé incessamment au ministère de la justice.
Personne n'a jusqu'ici été admis b voir le condamné.
On sait que sa femme n'en a pas même manifesté le
désir.
t» M. Lyon, président de la cour d'assises, est
toujours b Mons.
La kermesse attire fort peu de monde et se
passe en famille. Indépendance
Un de nos abonnés, qui a fait partie du jury
dans l'affaire Bocarmé, nous écrit pour nous dire
qu'il n'est pas exact, ainsi que l'a dit Vlndéptn-
dance, que le verdict ait été rendu b l'unanimité,
en ce qui concerne M. de Bocarmé, b 10 voix contre
2, en ce qui ceticerne madame.
Les jurés avaient, du reste, pris l'engagement
d'honneur de ne pas faire connaître comment se
sont partagées les voix. de la Belgique.)
M?r l'évêque de Gaud a conféré vendredi der-
dernier la tonsure b 32 élèves de sou séminaire et
les ordres mineurs b 10 autres élèves.
Dans l'ordination qui a eu lieu samedi dernier
b la cathédrale, 10 élèves du séminaire ont été
promus au sousdiacouat, 7 au diaconat et 12 b la
prêtrise.
Des instances viennent d'être faites auprès de
M. le Ministre des travaux publics, pour obteuir la
reconstructiou du Pont-Neuf b Gand. Ces démar
ches ont eu le résultat désiré M. Van Hoorebeke
a promis que sou département prêterait son con
cours b l'exécution des travaux, et que cette année
déjà on mettrait la main b l'œuvre.
On lit dans Ie Libéral de Tournai Un bien
fnnesté événement est arrivé avant-hier après midi
dans un estaminet de la rue Clercanips. Un ouvrier
du nom de Semain, dans un état d'ivresse très pro
noncé, sentait le repos dont il avait besoin, ayant
pour matelas une chaise, et pour laie d'oreiller uue
table. Après quelques heures de sommeil, il se leva
pour retourner chez lui, mais ses jambes fléchis
saient encore sous le poids de son corps; pour ne
pas tomber, il essaya de se reteuir au jeu de fer
qui se trouvait auprès de lui. Ce point d'amarre
ue valait rien, car Semain l'entraîna dans sa chûte
et une des broches vint le frapper b la tempe,
tandis que les autres lui labouraient le crâne.
A Paris, les édile» ne s'embarrassaient pas de si peu; ils
prenaient leurs déesses dans les coulisses des théâtres, dans la
fange des mauvais lieux, el la populace saluait de ses applau-
diâsemens des visages inconuus. Mais, dans les campagnes, on
ne pouvait compromettre la solenuilé du culte en divinisant
d'impures créatures, et o'était grand souci que de faire monter
sur l'estrade païenne, uue jeune fille que chacun eût pu mon
trer du doigt et bafouer plaisir.
Le citoyen Guiraud, trancha la difficulté, et assura que sa
fille était trop bonne patriote et trop belle femme pour ne pas
s'honorer du rôle auguste qu'il sollicitait pour elle.
Cette motion fut acceuillie avec enthousiasme; car la piété
d'Étiennette était notoire, et son dévouement parut sublime
tous les athées de la commune, qui votèrent des remerciemens
au maire.
Guiraud triompha; et, dans son superbe orgueil, il se ren
dit la lerme pour entretenir sa fille de la décision des bons
sans-culottes de Saint-Pierre.
Êtiennette élpit au château; le fermier, redoutant les re-
moulrauces de sa femmese garda bien de prendre sou avis,
mais il se plaignit des visites quotidiennes qu'elle faisaitavec
sa fille, M0î de Pavyassurant qu'il en arriverait malheur
tôt ou tard, et qu'il était ridicule de compromettre, par des
étourderies, sa réputation de civisme et de vertu démagogique.
La bonne femme Guiraud était en train de relever ver
tement ces hypocrites impertinences, lorsqu'Étiennette entra
dans la ferme. La jeune fille avait le coeur joyeuxelle Venait
de voir son fiancé, et elle refoulait dans son coeur les amou
reuses paroles et les nobles pensées qu'elle rapportait de son
doux entretien.
Pour être continué.)