JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
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No 3529.
35me année.
Nos lecteurs n'attendent sans doute pas
de nous que nous poursuivions plus long
temps la discussion entamée propos de
la langue flamande et de son avenir. Le
cadre de ce journal nous interdit d'ailleurs
de trop nous étendre sur ce point. 11 nous
suffit d'avoir démontré que l'usage de la
langue maternelle est essentiel nos suc
cès littéraires, et qu'adopter une langue
étrangère serait un déplorable symptôme
de décadence politique. On accuse surtout
nos écrivains flamands de n'avoir eu d'en
thousiasme et de culte qu'envers le passé.
A ce reproche nous avons repondu dans
un n# précédent. Ce qui n'a pas empêché
le Progrès de le reproduire encore, après
avoir, son point de vue, tracé en croquis
l'histoire de la prépondérance et du déclin
de l'élément flamand. Le confrère assure
que nos écrivains, malgré tous leurs ta
lents, ne feront guère prévaloir le dialecte
national, cause des médiocres sympathies
qu'ils ont voué au libéralisme et la grande
révolution de89. Il s'imagine naïvement que
pour assurer son avenir, il faudrait que la
littérature flamande s'abaissât au rôle de
plagiaire de sa rivale la littérature fran
çaise et répandit l'esprit anti-flamand dans
les classes même qui s'en sont préservées.
Sa doctrine se résume en ces deux phrases:
Il eut mieux valu, dit-il, s'oct uper un
peu plus du présent et de l'avenir, et
un peu moins du passé. a Ou n'émeut
pas les masses en faveur d'un anachro-
nisme.
Que le chantre d'Achille se le tienne
pour dit. En vain l'antiquité, eu vain les
LA ^7M
IQLQTAOfô;
I.
âges modernes ont tressailli ses accents,
les Zoïles du libéralisme 11e lui épargne
ront pas leurs remontrances. Le rétro
grade! que ne s'est il occupé un peu moins
de celte vieille guerre de Troie; que 11'a-t-i 1
composé une Iliade de 1 avenir! Et le cygne
de Mantoue, donc? (Comment! chanter les
aventures du pieux Enée, au beau milieu
du règne d'Auguste; quel anachronisme!
En voilà assez, ce nous semble, pour
faireconvenablement apprécier l'argumen
tation pulvérisante du Progrès.
Non certes, la littérature de l'avenir ne
vaut guère mieux que la politique de l'a
venir; l'une et l'autre n'ont jamais abouti
qu'à des déceptions, n'ont enfanté, en po
litique, que de ridicules ou désastreuses
utopies; en littérature, que d'informes et
pitoyables élucubralions.
Alors que l'opinion modérée demandait
qu'il fut inscrit dans la loi sur l'enseigne
ment moyen des garanties qui permissent
nos évêques de prêter leur concours
cette œuvre d'une si haute importance,
on sait que le ministère se retrancha dans
les plus belles promesses. A l'en croire, il
fallait pour mener bonne fin les négocia
tions avec le corps épiscopal, il fallait
laisser toute latitude au pouvoir exécutif,
qui s'engageait, du reste, à^Combler ad-
minislralivement les lacunes de la loi, et
déclarait hautementqu'il pousserait les con
cessions leur dernière limite. Sous l'impres
sion de ces bonnes paroles la loi passa
devant les chambres Voyons comment s'y
prirent nos ministres engagés par ces pro
messe?.
Après d'assez longues tergiversations,
on entame une correspondance. Quelle elle
fut, il est permis d'en juger maintenant que
les journaux l'ont publiée. Or, la dernière
limite des concessions du cabinet libéralisle
consistait en définitive prétendre que l'é-
piscopat Belge n'a rien de mieux faire
qu'à s'en rapporter la bonne volonté du
gouvernement et avoir pleine confiance
en lui. Voilà pourtant des prétentions que
la presse libéraliste et avec elle le rapport
de M. Lebeau trouvent dignes de tout éloge.
Ah, sans doute, si nos évêques inclinaient
lâchement leur crosse pastorale devant les
exigences de quelques hommes, qui. leur
tour, ne savent résister la pression des
partis; s'ils mettaient sottement leur con
fiance en des ministres dont les paroles et
les actes accusent une violente répulsion
contre toute autorité spirituelle; si, au
mépris des devoirs qui leur sont imposés
d'en haut, ils couvraient d'un voile com
plaisant les dangers que présentent la
jeunesse les collèges de l'Etat; s'ils aveu
glaient les parents, s'ils aidaient par une
condescendance coupable pervertir le
jeune âge, il est croire que l'honorable
rapporteur eut eu quelques grains d'en
cens pour eux. Mais nos premiers pasteurs
sauront bien s'en passer. Le témoignage
de tous les bons catholiques; surtout la
conscience d'avoir rempli un grand devoir,
en face des périls où la jeunesse studieuse
se trouve exposée de nos jours, les venge
ront amplement des déclamations passion
nées de quelques folliculaires sans prin
cipes. Le mémorable et terrible exemple
que présente un pays voisin, où malgré la
présence d'un aumônier les collèges de
l'Etat ont peuplé le sol d'une génération
incrédule et libertine, n'a pu être une leçon
perdue pour les sages Prélats qui sont
confiés nos intérêts religieux, partant les
intérêts suprêmes de chaque citoyen en
particulier comme de la nation en général.
Des faits de caractère grave viennent de
marquer la kermesse de Brielen lez Ypres.
La femme Maprès s'être livrée la
danse au cabaret liet Hôekje, jusqu'à une
VÉRITÉ ET JUSTICE.
On s'abouue Vpres, rue de Lille, 10, prés la Glande
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PRIE DE L'ARONNEMENT, par trimestre,
Ypres fr 3. Les autres localités fi 3 5o. Un n° a5.
Le Propagateur parait le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine (Insertions 13 centimes la ligne).
7PP.SS, 26 Juillet.
«•US LA MONARCHIE.
AUVERGNE ET PIÉMONT.
En 1745, la ville de Lille, dont la garnison était alors fort
nombreuseparce que les plus grands efforts des puissances
en guerre avec la France semblaient se porter vers les Flandres,
la ville de Lille, disons-nous, comptait les régimens d'infan
terie Auvergne et Piémont parmi ceux que le roi avait chargés
de faire respecter ses murailles, dans le cas ou les événemens
de la guerre amèneraient l'ennemi jusque dans nos provinces,
comme cela s'était vu peudaut les mauvais jours du règne de
Louis XIV.
Il y avait, cette époque, une dizaine d'années environ que
ces deux régimens ne s'étaientpour ainsi dire, pas quittés.
Eu campagne ou dans les camps de plaisauce ils formaient une
brigade; dans la paix ils avaient les mêmes garnisons, qu'ils
prenaient le même jour et qu'ils quittaient en même temps.
Cette intimité, produite d'abord>par le hasard, avait bientôt
fini par être considérée comme un usage, peut-être même
comme un droitde sorte qu'au ministère de la guerre, sans
qu'aucun ordre eût jamais été donné cet égard, il ne serait
venu l'esprit de persouue d'y porter atteinte, et il arrivait
même quelquefois qu'on la citait comme un exemple bon
suivre par les autres coips de l'armée. Rien de plus touchant
que cette assooiatiou fraternelle de quatre mille hommes, qui
s'aimaient comme s'ils n'eussent été que deux, attirés l'un
vers l'autre par le charme invincible de la sympathie. Sur les
champs de bataille elle avait eu pour résultat des faits d'armes
mémorables, des actes d'héroïsme sublime, et dans les villes
de garnison elle donnait lieu chaque jour des marques indi
viduelles de dévouement, qu'on aurait peine croire dans le
temps d'égoïsme où nous vivons. Auvergne et Piémont se sou
lageaient réciproquement dans le service, s'aidaient, l'occa-
siou de la bourse et de l'épée, ue se séparaient jamais, soit qu'il
fallut courir a L'ennemi ou se rendre uue fête, enfin, dans
toute l'armée où cette union était counue, on ne les appelait
plus Auvergne et Piémont, mais Castor et Pollux, et loin de
prendre ces sobriquets en mauvaise part, ces deux corps en
jouissaient au contraire avec une sorte d'orgueilcomme nous
avons coutume de faire pour tout ce qui flatte nos peuchans
favoris.
Les choses en étaient là, lorsqu'une aventure tragique et
mystérieuse vint tout coup briser ces liens qui semblaient
indissolubles, et remplacer l'affection mutuelle et l'estime
réciproque par la haine et le mépris.
La fureur du jeu s'était emparée depuis quelques mois du
légiment d'Auvergne,où elle semblait entretenue par un jeune
capitaine qui passait du moins pour l'y avoir apportée. Ce
capitaine, Irlandais de naissance, jouissait d'uue fortune con
sidérable, dont il faisait un assez noble usage, assurait-on, et,
sauf l'amour du pharaon qu'il poussait un peu loin, il n'y avait
que du bieu dire de sa conduite, et on ue lui connaissait pas
un seul ennemi.
Un malin, une nouvelle terrible se répandit dans la cité
Lilloise, et plongea dans la stupeur les six régimens qui y
tenaient garnison.
Le capitaine O'Brien, c'était le nom du riche Irlandais, avait
été assassiné peu de dislance d'une maison où il venait de
passer une partie de la nuit jouer avec quelques-uns de ses
camarades d'Auvergne.
Lorsqu'on releva sou cadavre, il avait sa montre, un soli
taire de prix au doigt, et cinq cents louis dans ses poches.
On ne l'avait doue pas tué pour le voler.
On s'arrêta alors l'idée de la vengeance d'un père ou d'un
mari outragé; mais, toutes informations prises, nul ne connais
sait d'intrigue amoureuse au capitaine O'Brien, et il fallut
bientôt renoncer cette supposition.
La justice procéda une enquêté sévère et minutieuse; le
lieutenant de police envoya de Paris deux de .-es agens les
plus experts. Les régimens d'Auvergne et d- Piémont firent
aussi des recherches; mais rien de tout cela ne uni sur la voie
de la vérité.
Dans la maison où le capitaine O'Brien avait p -é (a nuit,
on déclara qu'il était sorti vers les trois heur.s du matin en
compagnie de deux de ses camarades.
Ceux-ci interrogés oomtue témoins, car nui ue songeait
les accuser du crime, répondirent qu'O'Brièn s'était immé
diatement séparé d'eux pour retourner chez lui.
Pour être continué.)