JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
9
No 3601.
35me année.
TPRSS, 3 Avril.
C'est surtout de la seconde moitié du
dernier siècle que datent les ravages du
scepticisme au sein des peuples restés ca
tholiques. Quant ceux que la prétendue
réforme avait séduits au 16™e siècle, l'in
différence religieuse et l'esprit d'insubordi
nation les gangrenaient depuis longtemps.
En France (pays dont nous avons ici sur
tout nous occuper, cause des rapports
tout particuliers qui nous unissent lui)
ce fut donc vers le milieu du 18"" siècle
que l'œuvré de démolition et de mort
surgit dans des proportions effrayantes.
Deux hommes surtout personnifient ces
temps de délire. Esprit superficiel, mais
fin, délié, facile, l'un d'eux, le patriarche
deFerney, sut imprimer aux boutades les
plus stupides une tournure agréable; son
ignorance qui perce de toute part dans ses
écrits, il la voilait habilement sous la pointe
d'une épigramme; ses attaques contre la
religion, brutales et repoussantes dans les
lettres confidentielles qu'on publia après
sa mort, se teignaient dans ses ouvrages
avoués d'un vernis hypocrite. L'autre, c'é
tait le philosophe de Genève, génie plus
profond, mais qui pour se signaler et faire
du bruit élaborait des paradoxes avec au-
FEUILLETON.
UN HORRIBLE ASSASSINA T.
tant de soin qu'il travaillait ses phrases;
fou d'orgueil il imprima la littérature,
grâce l'influence qu'il exerça sur elle, un
ton vantard et pédantesque l'unisson
avec son propre caractère; mieux que
personne l'arl de couvrir le vide de
la pensôe'lious la pompe étudiée de la
phrase; les paradoxes les plus étranges,
les sophismes les plus subversifs ne 'coû
taient rien sa verve; débités d'un ton
d'oracle, leur nouveauté même faisait leur
fortune et tous les jours la foule devenait
plus éprise de l'écrivain qui enseignait
masquer sous des phrases l'odieux du vice
et les dangers de l'erreur.
Le philosophisme anlicatholique triom
pha l'aide des mêmes armes dont autre
fois les réformateurs prolestants s'étaient
servis avec succès. D'une main, le sarcasme
impitoyable déchirant sans merci tout ce
qu'il y a de sacré pour l'homme, tout ce
qui relève son âme, tout ce qui le soutient
ici-bas. De l'autre, la déification du Moi;
l'égoïsme brutal, c'est-à-dire la salisfactiou
des passions dégagées des entraves du re
mords.
Mais aussi, quand les nations ne virent
plus rien debout qu'on.ne leur eut appris
conspuer, quand au fond des consciences
muettes tout remords fut éteint, le triom
phe du crime sonna parmi les hommes.
On vit alors le peuple le plus policé du
monde abandonner aux mains des can
nibales le meilleur des Rois; on vit une
poignée de brigands gouverneren despotes
l'héritage de Saint-Louis et s'éni vrerà longs
flots du sang le plus noble de la France. La
nation cependant restait les bras croisés
en face des bourreaux; et de fait que lui
importait-il que la Religion fut persécutée,
la royauté abolie, la liberté proscrite? Aux
leçons de Voltaire n'avait-elle pas appris
rire de tout, celles de Rousseau se
payer de phrases^ Avqç Ja stupide indiffé
rence qui ne nAî^it_paà''cfuillée durant
celle époque. d|^^e^Pet £&prreur, elle
assista au rétaqi^S^n^it Au fuite, l'ou
verture des églV^;( ^tét- Ju^ importait-il
encore?
Depuis lorsdes temps meilleursont paru
luire sur la nation, mais la foi est éteinte
dans les âmes; dépourvues de convictions
qui les soutiennent, il ne leur reste que
des opinions qui les amusent; le matéria
lisme des passions a pris la place des senti
ments élevés, et les hommes qui en perdant
la noblesse du cœur ont déposé l'énergie
de la volonté, se laissent aller la dérive
au gré des caprices de la mode où de leur
humeur.
Mais cet affaiblissement des idées et des
convictions implique de soi une subversion
identique dans le langage. Aussi les mots
ont-ils perdu leur signification et les pa
roles n'ont rien qui corresponde aux actes.
N'a-t-on pas entendu de nos jours les ty
rans de la Suisse invoquer la liberté, alors
qu'ils dépouillaient de leurs antiques fran
chises les cantons primitifs, les cantons
fondateurs de la liberté Helvétique? N'a-
t-on pas vu en Piémont et Rome les
Siccardi et les Mazzini perpétrer leurs ly-
ranniques spoliations, toujours au nom de
la liberté? N'est-ce pas en ce même nom
que l'aristocratie Magyare a couvert de
sang le sol Hongrois pour le maintien de
VÉRITÉ ET JUSTICE.
SOUSCRIPTION POUR LE LUXEMBOURG.
Reçu antérieurementfr. 75 00
Un Ecclésiastique20 00
Total fr. g5 00
ATONIE INTELLECTUELLE ET MORALE.
(suite et fin.)
Cependant le soleil répandit ses brillans rayons
sur le pauvre Dominique, et la fange, emblème de
toutes les taches d'un opprobre immérité, fut aisé
ment brossée quand elle devint sèche. Notre col
porteur était d'un heureux caractère; il ne tarda
pas retrouver sa bonne humeur, et il ne put
même retenir un joyeux éclat de rire en pensant
au tumulte qu'avait excité son histoire. Après
tont,se disait-il, j'aurai rendu service: les affiches
de la municipalité de Parker's-Falls, vont faire
emprisonner tous les vagabonds du Maine. En
lisant l'article de la gazette, tous les avares trem
bleront pour leur or et feront peut-être des
réflexions utiles sur le danger d'accumuler des
capitaux improductifs. Quel retentissement aura
cet article je parie qu'il sera répété dans les Flo-
rides; des journaux des Florides il passera dans
ceux des autres Etats; les journaux de Londres s'en -
empareront, puis ceux du continent; il fera frémir
les lecteurs des deux moudes... Ce succès, doiit,j
Dominique triomphait comme s'il eût été un hom
me de la presse, ne lui fit pas oublier l'éloquence
de la jeune maîtresse d'école Ah! s'écria-t-il
dans son enthousiasme, elle est jolie comme un
ange, et elle parle comme l'orateur Daniel Web
ster! C'est en ma faveur qu'elle a prononcé an si
beau plaidoyer! c'est pour me défendre contre la
populace furieuse de Parker's-Falls!
Dominique était en ce moment pièsde la bar
rière de Rimballton car, quoique cela le détournât
un peu de la route directe, il avait décidé qu'il
passerait par cet endroit pour se rendre Morris-
lown. En approchant du théâtre de la catastrophe
supposée, il continuait d'en méditer dans sou esprit
les tristes circonstances et s'étonnait de l'aspect que
prenait toute l'affaire. Si rien n'était venu corrobo
rer la révélation du premier voyageur, certes il n'y
aurait eu qu'une mystification mais le mulâtre était
évidemment instruit du bruit qui avait dû courir,
ou du fait...., si c'était un fait.... Comment motiver
son émotion de terreur et son regard de criminel
surpris, lorsqu'il avait été questionné brusque
ment Tout cela cachait un mystère. N'était-ce pas
une singulière combinaison d'incidens? Et puis, la
nouvelle donnée par les deux voyageurs cadrait si
bien avec le caractère et les habitudes de la victi
me!... M. Higginbolham avait un verger; il y
avait dans ce verger un arbre sous lequel il passait
journellement a la,'nuit tombante.
A force de réfléchir sur toutes ces coïncidences,
Dominique douta qu'il suffît, pour les réfuter, de
l'autographe de l'avocat, et même du témoignage
direct de la nièce. Ayant recueilli avec prudence de
nouvelles informations sur la route, le colporteur
apprit de plus que M. Higginbolham avait pour
domistique un Irlandais, d'un caractère suspect, et
qu'il avait pris son service sans aller aux rensei-
goeraens, parce qu'il ne lui avait demandé que de
petits gages.
Je veux être pendu moi-même! s'écria
Dominique en atteignant le sommet d'une petite
colline, si je consens croire que le vieux Higgiu-
botham n'est pas victime de son économie, tant
que je ne l'aurai pas vu de mes yeux et s'il ne
m'assure lui-même le contraire. Bien mieux, il me
l'assurerait, que comme, je ne me fie pas toul-k-fait
lui, je voudrais encore la garantie du ministre de
la paroisse ou celle de toute autre personne d'une
responsabilité éprouvée.
La nuit n'était pas loin qnand Dominique arriva
en vue de la maison de péage qu'on trouve un
quart de mille environ du village de Kitnbalton.
Devant lui trottait un cavalier qui franchit la barriè
re, fit un signe de tête l'homme chargé de la per
ception, et continua son chemin vers le village. Le
colporteur le suivit de près; mais il s'arrêta un
moment pour changer une pièce d'argent et causer
un peu avec le péager, qui était une de ses vieilles
connaissances.
Après les banalités ordinaires snr la pluie et le
beau temps: Je Suppose, dit Dominique en
inclinant son fouet doucement sur le flanc de sa
bêle, je suppose que voilà quelques jours que vous
n'avez vu le vieux Higginbolham?
Mais c'est lui qui vient de vous devancer
la barrière, répondit le péager. et vous pouvez
l'apercevoir encore travers le crépuscule. Il était
allé, cette après-midi, Woodfield, pour assister