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JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
No 3618.
35me année
7P3.SS, 2 Juin.
DE L'ETAT PRESENT DE LA BELGIQUE,
PAR RAPPORT A LA FRANCE.
VÉRITÉ ET JUSTICE.
On s'abonne Ypres, rue de Lille, 10, près la Grande
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PRIX DE L'ABOflEnRNT, par trimestre,
Ypres fr. 3. Les autres localités fr. 3-5o. Ou 25 c.
Le Propagateur parait le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine, (insertions I* centimes la ligne.)
(Suite et fin.)
Le ministère belge, quoique ayant pour chef M.
Charles Rogier, Ministre de l'intérieur, subit visi
blement l'influence de M. Frère-Orban, Ministre
des finances.
M. Charles Rogier, Français d'origine, est né
Saiot-Quentin, en 1800; son frère, M. Firmin
Rogier, ambassadeur de Belgique Paris, est né
Cambrai. La révolution de i83o les trouva rédi
geant, en collaboration avec MM. Lebeau et De-
vaux, le Mathieu Lansberg, devenu plos tard le
Politique, journal dirigé contre le gouvernement
du Roi Guillaume. Comme journalistes et comme
hommes d'actions, MM. Rogier, unis alors au parti
catholique, eurent une grande part dans la révolu
tion qui fonda, en i83o, le royaume de Belgique.
Comme beaucoup d'hommes politiques, M. Char
les Rogier a la passion du pouvoir; et cette pas
sion explique les doctrines peut-être uu peu di
verses qu'il a successivement professées. Eu i85o,
il était uni au clergé belge contre le Roi des Pays-
Bas; en 1831il soutenait la candidature de M. le
duc de Nemours au trône de Belgique en i832, il
faisait partie, comme Ministre de l'intérieur, du
cabiuet unioniste, c'est-à-dire mi-catholique et
mi-libéral; en 1854, il acceptait d'un cabinet
catholique pur le gouvernement de la province
d'Anvers; et, après uue courte rentrée dans un
ministère doctrinaire, en r84o, M. Charles Rogier
commençait, en Belgique, comme M. Thiers en
France, un système d'opposition parlementaire et
d'agitation extérieure, qui amena, sous la pression
des clubs et des loges maçonniques, la dissolution
de la Chambre des Députés, les élections générales
du 8 juin 1847, et enfla la formation du minis
tère du 12 août suivant, dont M. Charles Rogier
eut et a conservé la présidence.
M. Frère-Orban, Ministre des finances, et mem
bre très-influent du cabinet est un homme distingué
et d'un vrai taleut. Né Liège, dans une condition
fort humble, et élevé par les soios de la principale
loge maçonnique de cette ville, il devint avocat
éminent, et acquit une belle fortune en épousant
Mu* Orban, dont il a pris le nom, et dont le père
dut son opulence au système continental de l'Em
pereur. Il faut dire néanmoins que M. Frère Orban,
fort avancé dans les doctrines démocratiques et
semi-socialistes, est encore peut être plus un esprit
dogmatique qu'un esprit politique, et un philo
sophe qu'un homme d'état. Son action sur la
Chambre n'est pas considérable, l'absolutisme de
son caractère répugne aux habitudes des assem
blées; et le parti catholique, en concentrant sur
lui ses plus vives antipathies, sent instinctivement
que c'est là son plus vrai et son plus redoutable
adversaire. M. Frère-Orban est aussi un ancien
journaliste il était, avaut son entrée la Chambre,
rédacteur du Journal de Liège.
M. Constanl.d'Hoflschmidt,né Resleigne, dans
le Luxembourg, débuta comme Ministre des tra
vaux publics, en i845, dans le cabinet catholique
de Mi de Thenx 1 et il est'eutré, comme Miuistre
des affaires étrangères en 1847, dans le ministère
libéral de M. Charles Rogier. C'est un homme
placé entre les deux partis, et qui n'appartient
absolument ni l'un ni l'autre.
M. Victor Tesch, Ministre de la justice, est un
avocat jouissant d'une grande réputation dans sa
province, le Luxembourg. M. Tesch rédigeait, en
i85o VÊcho du Luxembourg.
Le général Victor Auoul, Ministre de la guerre,
est un vieux brave des armées de l'Empire. Il ser
vait en 1813 comme lieutenant au 14° régiment de
cuirassiers, et fut grièvement blessé Leipsick.
Après avoir fait avec distinction la seconde cam
pagne de France, M. Victor Anoul passa successi
vement au service du gouvernement des Pays Bas
jusqu'en i83o, et au service du gouvernement
belge, où il acquiten i84i le grade de général.
Il est aujourd'hui l'aide-de-camp, l'ami et le con
fident du Roi Léopold, eu ce qui touche le mi
litaire; et il est favorablement porté pour le
gouvernement français.
Enfin, M. Emile Van Hoorebeke, Miuistre des
travaux publics, est un très-jeune avocat de Gand,
intelligent, instruit, populaire, en raisoD de son
obligeance et de son affabilité. D'abord rédacteur
d'un journal catholique Gand, M. Emile Van
Hoorebeke accepta, de M. Verhaegen, la rédaction
dn journal ultra-libéral, VObservateur belge; et
c'est par cette voie qu'il s'est ouvert la carrière où
il occupe déjà un poste distingué.
Voilà, groupés et résumés, les divers éléments
de l'opinion et de la politique dans le gouverne
ment belge; il n'y a rien, comme on voit, qui
puisse donner naissance autre chose qu'à une
hostilité passagère, capricieuse, personnelle, et
surtout gratuite coDlre le gouvernement français.
C'est principalement dans le langage de la
presse, dans la conduite impunément provoquante,
injurieuse de quelques réfugiés, qu'éclate le mau
vais vouloir du gouvernement belge envers le
chef que la nation française s'est donné. On ferait
des montagues avec le papier noirci et sali de ca
lomnies qui s'imprime en Belgique et qui se col
porte dans toute l'Europe, au mépris des relations
de bon voisinage. Nous savons que la loi sur la
presse belge, du 16 octobre i85o, affranchit d'une
manière absolue le journalisme de toute eDtrave;
mais nous savons aussi que la plupart des feuilles
belges soot rédigées par des étrangers, placés sous
l'autorité du décret du 22 septembre t835, relatif
aux expulsions.
Ces journalistes étrangers peuvent donc écrire
toutes les injures du monde contre les nations et
(1) R. Il y a ici une erreur de fait qui doit être rectifié. M.
d'Hoffsmidt n'a pas fait partie du ministère de M. de TheUx
en 1846, mais bien du ministère de M. Vande de Weyer, qui
a précédé celui de m. de Theux.
contre les gouvernements; la loi de 1835 les y au
torise, mais si uu seul d'entre eux se permettait de
piquer un peu au vif le gouvernement belge lui-
même, M. Charles Rogier, sans déroger la li
berté du journalisme, aurait recours au décret de
1835 sur les étrangers, et ferait jeter son homme
hors de frontière dans les vingt-quatre heures. Ce
décret de i835 est d'ailleurs admirable d'élasti
cité; on peut, avec son article 1", mettre la main
au collet du premier venu; et le gouvernement
belge y a recouru, et justement recouru très-sou
vent.
Une sorte de terreur s'est emparée du cabioet
beige, après le 2 décembre; et les ministres se
sont imaginé que Louis Napoléon allait infaillible
ment envahir la Belgique. C'était là une terreur
bien vaine et bien puérile. La Belgique aurait un
intérêt commercial immense être réunie la
France l'intérêt de la France est infiniment moin
dre. D'ailleurs, le prince-président, l'Europe le
sait bieo, n'a que des idées d'organisation inté
rieure et de paix extérieure, ce n'est point pour
lancer les peuples les uns contre les autres qu'il
les a arraché au socialisme, et sa tâche est assez
glorieuse pour qu'elle flatte et contente son ambi-
bition plus que des conquêtes.
Mais, si le prince-président n'a pas et n'a jamais
eu la pensée d'envahir la Belgique, il a certaine
ment et il doit avoir la pensée de se faire respecter
et de faire respecter la France, de la part du gou
vernement belge comme de tout autre: et les
élections prochaines de la Flandre orientale, du
Hainaut, de la province de Liège et du Limbourg
feront considérablement avancer la question. Les
électeurs de ces quatre provinces aurout voir, en
nommant députés, s'il leur convient d'entretenir,
d'améliorer ou de rompre les bonnes relations
commerciales qu'elles ont avec la France. On ne
touchera certainement pas aux carions; ruais il
n'est pas impossible qu'on touche aux tarifs. La
Belgique a incontestablement le droit de garder
ses ministres; mais la France a tout aussi incontes
tablement le droit de garder son marché. Quyrd on
a des faveurs faire, on n'a pas ordinairement
l'habitude de donner la préférence ses ennemis.
Nous serions surpris que la Belgique ne comprît
pas ces dispositions et ce langage. Indépendam
ment de ses idées générales d'équité, qui doivent
porter le peuple belge respecter le gouvernement
que la France s'est librement et solennellement
donné, et auquel la cause de l'ordre européen doit
tant, nous ne comprendrions pas que les quatre
provinces dont nous avons parlé sacrifiassent leurs
naturels et légitimes intérêts des fantaisies déni
grantes et des passions aveugles.
La Flandre orientale, qui doit reélire vingt dé
putés, possède un nombre considérable de manu
factures, soit de fils, soit de toiles de coton et de
lin, et le principal débouché de ces divers produits
est en France. Si notre gouvernement fermait ses
barrières ces produits, les populations de la Flan
dre orientale n'auraient plus de marché pour leur
travail, et elles seraient forcées de solliciter, pour
vivre, leur incorporation pure et simple la France.