LE NOUVEL EMPEREUR DE RUSSIE. diriger et nous proléger, afin que oous puissions maintenir la Russie au plus haut degré de puis sance et de gloire, et que par nous s'accomplis sent les vœux et les efforts incessants de Pierre, de Catherine, d'Alexandre et de Notre illustre père. Si telles sont les intentions d'Alexandre II, la paix semble bien compromise. Car ces paroles, c'est la revendication de ce qu'on appelle en Russie la politique nationale; c'est la continuation d'un sys tème d'envahissement contre lequel les puissances occidentales sont armées a l'heure qu'il est. Du reste, quelle que soit la valeur que l'on doive donner h ce passage du Manifeste du oouvel Em pereur, il faut, dans tous les cas, reconnaître que les espérances de paix qu'avait fait naître la dis parition de l'Empereur Nicolas, se sont déjà beau coup affaiblies depuis quelques jours. Presque tous les journaux allemands sont loin de partager la confiance qui s'était manifestéedansles premiers moments. Ils font remarquer que la politique na tionale russe, politique d'envahissement et de conquête, comme oo sait, est un legs héréditaire de la monarchie; ils ajoutent que le Souverain n'est autre chose qu'une personnification vivante de cette politique, et qu'il se perdrait infaillible ment en la reniant. C'est là uue vérité incontes table pour qui connaît quelque peu l'histoire de la Russie depuis Pierre-le-Grand. C'est pourquoi il nous paraît hors de doute que les puissances occidentales continueront d'agir comme par le passé. Le prince Menischikoff est rappelé de son com mandement. On dit que cette mesure était déjà prise du vivant de l'Empereur Nicolas. Cepen dant, il, y a quelques doutes cet égard. Il est rem placé par le général Osten-Sacken. Le général Luders a été nommé au commandement de l'ar mée du Pruth. Ces deux chefs sont sous les ordres du prince GortschakofT qui doit commander toutes les forces du Sud. Des dépêches de Saint-Pétersbourg apprennent que le grand-duc Constantin, que l'Empereur Ni colas avait, dit-on, réussi réconcilier complète ment avec son frère, a prêté serment de fidélité entre les mains d'Alexaodre II. Jusqu'ici, rien d'important De s'est passé sur le théâtre de la guerre en Crimée. On a cependant des nouvelles officielles qui vont jusqu'au 26 fé vrier. Il est question, dans ces dernières nouvelles, d'une vigoureuse attaque dirigée par les alliés dans la nuit du 23 au 24 d'après les renseignements adressés au gouvernement français par le vice- amiral Bruat, dans celle du 24 au 25 suivant une dépêche du prioce Menischikoff. Les dépêches officielles diffèrent donc sur la date de l'attaque et sur les résultats. D'après l'amiral français, le général en chef a fait enlever, dans la cuit du 23 au 24 des travaux importants de contre-approche que les Russes avaient établis en face des ouvrages français. Les Français n'au raient eu qu'une centaine de blessés. D'après la dépêche russe, l'attaque des travaux dont parle l'amiral Bruat a eu lieu pendant la nuit du 24 au 26, par des forces considérables. Les Français auraient été mis en fuite par deux régi ments russes, qui leur auraient fait subir une perle de 600 hommes. On le voit, ces deux versions diffèrent du tout au tout. Ou annonce que les Russes ont abandonné leurs positions en face d'Eupaloria. Le voyage de l'Empereur Napoléon en Crimée reste toujours décidé. On annonce que les conférences de Vienne s'ou vriront prochainement. Les pouvoirs du prince Gortschnkoff oui été renouvelés par l'Empereur Alexandre II. Une dépêche de Copenhague du 5, annonce que le Roi Frédéric VII est dangereusement malade. Elle oous apprend en outre que les anciens Mi nistres doivent être mis en accusation. Le dernier paquebot de la Chine a apporté de graves nouvelles. Elles sont du 11 janvier. Le contre-amiral français Lagtterre bombardait Can ton celte dernière date. C'est la suite du refus des assiégés de changer une batterie qui pouvait endommager le consulat français que le bombar dement a été résolu. Ou n'en conuait pas encore les résultats. Les vastes moulins de MM. Petit, de Menin, viennent d'être achetés pour l'exploitation du caout-chouc par une Compagnie qui a acquis les brevets-Goodyear pour La Belgique et la Hollande et qui se constitue au capital de deux millions. Les bourgmestre, échevins et tous les con seillers communaux de Thourout ont fait don aux pauvres d'une année de traitement et de jetons de présence. Dans son ouvrage sur la Russie, M. le marquis de Custine a tracé un portrait du duc Alexandre, aujourd'hui l'Empereur Alexandre II. Quoique la date en remonte 183g, on oous saura gré de reproduire l'opinion de M. de Custine sur ce nou veau Czar, qui entre en scène un moment où les circonstances fixent forcément sur lui tous les regards de l'Europe. EDI, ce S Juin 1V39. Hier, j'ai commencé mon voyage en Russie le grand-duc héréditaire est arrivé Ems, précédé de dix ou douze voitures et suivi d'une cour nom breuse. Je me suis trouvé, parmi la foule des curieux, côté du grand-duc, au moment où il descendait de voiture avant d'entrer il s'est arrêté longtemps la porte de la maison des bains, pour causer en public avec une dame russe, la comtessej'ai donc pu l'examiner b loisir. Il a vingt ans, et c'est l'âge qu'on lui donnerait sa taille est élevée, mais il m'a paru un peu gros pour un aussi jeune homme; ses traits seraient beaux sans la bouffissure de son visage, qui en efface la physionomie; sa figure ronde est plutôt allemande que russe; elle fait penser b ce qu'a dû être l'Empereur Alexandre au même âge, sans cependant rappeler en aucune façou le type de kalmonck. Ce visage passera par hieo des phases avant d'avoir pris un caractère définitif; l'humeur habituelle qu'il dénote aujourd' hui est douce et bienveillante; pourtant il y a eutre le jeune sourire des yeux et la contraction coo- stante de la bouche, one discordance qui annonce peu de franchise, et peut-être quelque souffrance intérieure. Le chagrin de la jeunesse, de cet âge où le bonheur est dû b l'homme, est un secret d'autant mieux gardé, qu'il est un mystère inexplicable mêtne pour celui qui l'éprouve. L'expressioo du regard de ce jeune prince est la bonté; sa démarche est gracieuse, légère et noble c'est vraiment un prince; il a l'air modeste sans timidité, ce dont on lui sait gré; l'embarras desgrands est si gênaot pour tout le inonde, que leur aisance nous paraît de l'affabilité; c'en est réellement. Quand ils se croient des pagodes, ils sont gênés par l'opinion qu'ils ont d'eux-mêmes et qu'ils n'espèrent pas faire partager aux autres. Cette sotte inquiétude n'atteint point le grand-duc sa présence fait avant tout l'impression d'un homme parfaitement élevé; s'il règne jamais, c'est par l'attrait inhérent b la grâce qu'il se fera obéir, ce n'est pas par la terreur, b moins que les nécessités attachées b la charge d'Empereur de Russie ne changent son naturel en changeant sa position. Juin 183». J'ai revu le grand-duc héritier, je l'ai examiné plus longtemps, et de fort près; il avait quitté son uniforme, qui le serre et qui lui donne l'air gonflé; l'habit ordinaire lui va mieux, ce me semble il a une tournure agréable, UDe démarche uoble, sans aucune raideur militaire, et l'espèce de grâce qui le distingue rappelle le charme particulier attaché b la race slave. Ce n'est pas la vivacité de passion des pays chauds, ce n'est pas non plus la froideur im passible des hommes du Nord c'est un mélange de la simplicité, de la facilité méridionales et de la mélancolie Scandinave. Les Slaves sont des Arabes blonds; le grand duc est plus qu'b moitié Alle mand; mais en Mecklenbnut g, ainsi que dans quel ques parties du Holstein et de la Prusse, il y a des Allemands slaves. Le visage de ce prince, malgré sa jeunesse, n'a pas autant d'agrément que sa taille; son teint n'est plus frais; on voit qu'il souffre, sa patipières'ahaisse sur le coin extérieur de l'œil avec une mélancolie qui trahit déjb les soucis d'un âge plus avancé; sa bouche gracieuse D'est pas sans douceur, son profil grec rappelle les médailles antiques ou les portraits de l'impératrice Cathérine; mais, b travers l'air de bonté que donnent presque toujours la beauté, la jeunesse et surtout le sa»g allemand, on ne peut s'empêcher de reconnaître ici une puissance de dissimulation qui fait peur dans un très-jeune hom me. Ce trait est sans doute le sceau du destin; il me fait croire que ce prince est appelé b monter sur le trône. Il a le son de voix mélodieux, ce qui est rare dans sa famille, c'est un don qu'il a reçu de sa ntére. Il brille au milieu des j. gens de sa société, sans qu'on sache b quoi tient la distance qu'on re marque eutre eux, si ce n'est la' grâce parfaite de sa personne. La grâce dénote toujours une aimable disposition d'esprit il y a tant d'âme dans la dé marche, dans l'expression de la physionomie, dans les attitudes d'un homme!... Celui-ci est b la fois imposant et agréable. Les Russes voyageurs m'a vaient annoncé sa beauté comme uri phénomène sans celte exagération, j'en aurais été plus frappé. Tel qu'il est, le grand-duc de Russie me paraît encore un des plus beaux modèles de princes que j'aie jamais rencontrés. A propos du frère de l'Empereur Alexandre, le grand-duc Constantin, M. Léouzon-Leduc s'ex prime ainsi Le grand-duc Constantin fait contraste, dit- on, avec le grand-duc Alexandre. Je De partage pas entièrement cet avis. Sans avoir la douce man suétude de son frère aîné, Constantin n'est point pour cela aussi dur qu'on voudrait le prétendre. IL est ferme, saos doute, mais c'est d'une fermeté in telligente, qui ne sent eu rien la brutalité; accou tumé, du reste, b la vie de marin, puisqu'il est amiral général des flottes de l'empire, il a plus d'indépendance et de franc parler que les autres fils du Czar. C'est là peut être ce que certains Russes appellent de la rudesse; dès qu'on ne courbe point la tête, on passe, b leurs yeux, pour excentrique. Ce jeune prince doit plaire quand même il est instruit, loyal, généreux. Ce qu'il conserve du tartare ne fait que donner une nou velle originalité b l'Européeo. Mais il est pro fondément ambitieux et fort chatouilleux sur la dignité de son raDg. Ne l'a-t-on pas vu, dès son jeuue âge, envoyer b l'Empereur son père sa dé mission d'amiral général, parce qu'ou ne voulait pas prendre au sérieux la promotion qu'il avait faite d'un simple-matelot au grade de sous-offi cier Plus tard, il fit arrêter le grand duc héritier, qui s'était permis d'aborder b son vaisseau sans sa permission. Que de fois ne l'a t-on pas surpris couché sur une carte de l'empire, y traçant avec un crayon des lignes de démarcation et comme on lui demandait ce qu'il faisait Je fixe, répon dait-il, la part de chacuu: b mon frère ceci, b moi cela. Naturellement, ce qu'il s'adjugeait, c'étaient les parties orientales de la Russie. Son nom de Constantin n'est point b ses yeux un vain signe; et dans son projet de partage il n'hésitait pas b rallier b son lot Constantinople et l'empire ottoman. Ce qu'il y a de certain, c'est que le second fils de l'Empereur s'applique avec une prédilection mar quée b toutes les études qui se rattachent b la Turquie. Lors de mon séjour en Finlande, il arriva un jour b Helsingfors avec son escadre. Qui fit-il appeler b son bord? Le gouverneur de la ville, les chefs de l'état-major? Non le professeur de langue orientale de l'Université. Vous le croirez b peine, me disait ce dernier, mais le grand-duc Constantin est an moins aussi fort que moi sur le turc et connaît, en outre, jusqu'au ma nuscrit le plus ignoré de la langue; impossible de le

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Le Propagateur (1818-1871) | 1855 | | pagina 2