je suis, la santé n'est pas toujours fort bonne
voilà pourquoi je m'empresse de vous dire que
je suis très-bien portant et que la ville de
Sébastopol est prise. Pour les forts du Nord,
quand nous sommes partis, parce que ce n'est
pas toujours aux mêmes donner des assauts,
Us n'étaient pas encore en notre pouvoir, mais
il faudra bien que cela viennecar les troupes
étaient commandées pour les prendrePour
nous, qui avions été de la prise de la ville, on
nous a désignés pour couper la retraite aux
Russes il y aura là quelques bonnes rincées.
Hier, i 6, nous sommes allés faire une petite
reconnaissance et nous avons fait débusquer
un avant poste russe composé de lanciers et de
fantassins, au nombre d'environ 600 hommes.
Nous leur avons fait la chasse jusqu'à deux ou
5 lieues devant nous et nous avons aperçu
qu'à 5 lieues de notre camp environ nos gail
lards en avaient un, où ils sont bien 3o,ooo,
tant infanterie que cavalerie. Nous ne sommes
ici que 1,000 1,100 mais nous avons une
furieuse envie de les attaquer et de les envoyer
paître.
Maintenant je vais vous parler un peu de la
ville de Sébastopol. Les journaux vous en
auront déjà beaucoup dit mais, vous ne serez
pas fâchés de lire ici ce que j'en ai vu. Au
dernier bombardement notre artillerie a Jait
feu toute volée pendant jours; faisait
une fameuse grêle; puis, tout-à-coup, te feu
de nos batteries a cessé, et nous avons donné
un assaut général. Si vous aviez entendu les
Russes crier hurrah, hurrah! mais il n'était
plus temps car en moins de 1 o minutes, nous
avions franchi toutes les tranchées et nous
avions repoussé nos braillards jusqu'au delà
de leur port. Ce port là, qui se partage en 3, en
entrant dans la ville, n'est point laid du tout,
et la ville a du être assez jolie. Il y a là des
docks, comme disent nos amis les Anglais qui,
par parenthèse ne sont guères ici que pour se
faire tuer et ne guères avancer les affaires, les
poudrières, les arsenaux, les casernes, tout cela
était crânement propret maii comme les Rus
ses, avaient miné et ont fait sauter tout cela,
quand nous y avons été on ne savait guères de
quel côté retourner il y avait une fumée ne
point avoir moyen d'y voir clair; il sautait des
masses de pierres grosses comme de petites
maisons; et il fallait se laisser écraser, sans
avancer et sans reculer. Ce n'était pas le mo
ment le plus gai de la partie. Je suis pourtant,
comme vous le voyez, échappé de ce coup là.
Nous avons vu la mort pas mal assez près
comme cela, plus d'une fois mais jjourtanl pas
tout à-fait si près comme celle fois çi. Quand
le bastion a sauté, je me trouvais tout à- fait
côté et je vous promets que je suis resté seul
d'une dizaine que nous étions. Quand la fumée
a été un peu moins épaisse, j'ai crié après mes
camarades, mais aucun ne m'a répondu.
Le lendemain, pour nous récompenser, nous
les survivants, on a fait en roule pour la vallée
de Baïdar; et là nous sommes très-mal, car
les vivres y sont très-cher, et tous les jours, en
allant en reconnaissance, on tombe sur des
Russes qui nous font feu dessus,puis qui se
sauvent après. Je ne sais pas, pour combien de
temps nous sommes là. Il y en a qui disent que
nous allons rentrer en France parce que ce
serait pour nous assez d'avoir resté 11 mois
dans les tranchées. Je ne sais pas ce qu'on fera;
ce n'est pas mon affaire. Mais ça ne ferait pas
de peine de rentrer un petit brin.
Fous direz aux amis qui mont écrit que je
n'ai pas le temps de leur faire réponse; mais, si
les Russes le permettent, je leur promets pour
bientôt une aussi jolie lettre de papier que celle
que vous écrit, morcher Parrain, ma chère
Marraine, votre dévié filleul,
Berthb Léon,
Cioral au 19* de ligne.
HikxGiB):L©u:iiBa
Lundi, 8 octobre.
La vie De se mesurqtoiiil au nombre des jours,
mais l'usage qu'on efait. Dieu prolonge souvent
l'existeoce sur la terri comme pour donner b nos
languissantes velléitésl'y faire un peu de bien, le
temps dont il dispose en compensation de l'acti
vité que nous ne mettes pasb son service. Il nous
prodigue les années pur que nous n'arrivions pas
b lui les maios tout-b ail vides. Heureux si nous
n'abusons pas de cett< longanimité de la Provi
dence, en demeurant ans un repos nonchalaDt!
Mais pour ces âmes énigiques dans le dévouement
au prochain qui racbtent la brièveté du temps
par l'utile emploi qu'ees font de tous les instants;
qui, infatigables dan: leurs bonnes Œuvres, se
délassent d'un labeur t d'une peine par un nou
veau sacrifice, et, se lultipliant pour suffire aux
appels de tous les beoios, de toutes les misères,
sont partout où il y a u acte de charité b exercer,
parce qu'elles ne souljamais nulle part qu'avec
Dieu, en Dieu et pour Dieu, qui est Charité; pour
ces âmes dont la valeuisurmonte tous les obstacles
parce qu'elle puise sa rigueur dans la piété élevée
au degré de l'béroïsnu; pour ces âmes déjà depuis
longtemps riches d'untrésor de mérites que leurs
aumônes ont accumul: dans le Cielet dont le
Ciel est impatient de es mettre en jouissance; la
mort dans un âge enccre peu avancé est comme un
droit de revendicatior qu'elles se sont acquis sur
la justice divine elles étaient mûres pour la
récompense; elles voit la recueillir.
Ces réflexions, tort le monde les faisait ce
matin en se pressant en foule dans l'église de
S'-Jacques et dans toutes les rues environnantes,
pour prendre une part pieuse aux obsèques de
M11, ÉmILIE-M a.RIE-ANTOINRTXR IwciNB, née b
Ypres, le 39 octobre 1803, y décédée le 4 octobre
i855.
D'une famille très-distinguée de notre ville,
MIU Iweios a pratiqué toutes les vertus chrélienues
avec celte simplicité, dous oserions dire avec cette
facilité de bon goût qui caractérise l'usage qu'un
noble propriétaire fait de son patrimoine. Elle
était a l'aise et comme chez soi au milieu de toutes
les Œuvres de bienfaisance et de piété dont elle
était le plus souvent l'inspiratrice, toujonrs l'ou
vrière dévouée, et b la tête desquelles l'avaieot
placée la confiance et le respect.
Il eût fallu être doué d'une partie de l'activité
de M11' Iweios pour pouvoir la suivre parmi toutes
ces bienfaisantes occupations dans lesquelles le
zèle seul pouvait la soutenir, malgré la faiblesse
de sa saoté.
Ce n'était point seulement par son influence
légitimement acquise, et par la dispensation libé
rale de sa forluDe,que cette amie du bien était
l'âme des institutions qui recouraient b son initia
tive ou b son concours; pour nous servir d'un mot
qui ne jure point trop avec cette existence mili
tante, toujours sur la brèche pour alléger la souf
france comme pour s'opposer b l'invasion du mal,
pour répandre des secours comme pour propager
le bieo,elle payait de sa personne. Comme membre
active et Vice-Présidente delœuvre de la société
maternelle, elle allait rechercher les pauvres
mères de famille, pour les assister dans des circon
stances difficiles. Aidée par les Sœurs de la
Providence, comme elle-même les avait d'abord
guidées, lorsque, de concert avec quelques autres
personnes charitables, elle les avait appelées b
établir parmi nous leur utile institutionM11'
Iweiosne se contentait pas de soutenir cette
fondation, elle visitait elle-même b domicile les
pauvres malades qui ne peuvent être admis b
l'Hôpital.
Elle s'était faite ainsi l'auxiliaire de ces secou-
rables religieuses un si noble exemple ne fut pas
perdu. Nous eûmes, b partir de l'hiver dernier,
une association de Dames qui choisirent pour
Vice - Présidente la devancière qui leur avait
appris b trouver le domicile des pauvres et notam
ment des pauvres malades: leur Œuvre est bénie
par leurs protégés sous le nom qui a pour eux un
double sens VOEuvre des Dames de la Provi
dence. Il y a des Providences visibles ici bas, sous
l'inspiration de Celle qui pourvoit aux nécessités
du pauvre en envoyant au coeur du riche la bien
faisance.
C'est ce sentiment qui pressait M11* Iweins de
subvenir activement, et au prix de tous les sacri
fices, b l'instruction, disons mieux b l'éducation
des enfants pauvres. Elle avait fait de l'Institution
S*-Joseph sa maison dès que les devoirs de la
piété filiale ne l'avaient plus retenue loin de ces
pauvres pour lesquels elle avait des entrailles de
mère. Dans cette maison, qui n'a eu depuis qu'elle
l'habitait qu'uD jour de tristesse, celui de sa mort,
se réunissaient en effet sous ses yeux maternels et
sous l'abri du Couveot des Soeurs de Charité, ses
conjurées en zèle et en piété, et les enfants de
l'École journalièreet les élèves de VÉcole
dominicale, et les jeunes OrphelinesQuel
vide laissé dans cette institution par le départ de
la pieuse bienfaitrice! Pour ces enfants d'adoption
comme pour tous les pauvres de la ville en géné
ral, point d'autre consolation que l'heureuse con
fiance que,du haut d'un séjour meilleur, leur pro
tectrice intercède pour qu'il soit pourvu b tant de
besoins
M11" Iweins était persuadée que les bienfaits de
l'éducation même la meilleure doivent être conti
nués au delà de l'Ecole. Elle avait pris une large
part b la fondation et l'entretien de la Bibliothèque
catholique pour les Dames et les jeunes personnes
peu aisées. Dans le même but, et c'est peut-être l'a
le mérite suprême d'une vie si saintement remplie,
elle se voua de tout cœut b la directionb titre de
Préfète, de l'Association pieuse désignée sous le
nom de Congrégation des Filles. C'est daos cette
délicate fonction que M11' Iweins eut l'occasion de
se livrer b celle ardeur de charité unie b une pru
dence consommée, qui ne recule devant aucune
sollicitude, quand il s'agit de garder pour Dieu et
pour la société, comme un dépôt sans prix, le
renom intact d'une jeunesse nombreuse et grande
ment exposée.
C'est sans doute, pour lui rendre en tendresse
et en vénération un juste retour des peines qu'elle
prenait pour imprimer une si heureuse impulsion
b cette Œuvre difficile, qu'une autre association,
celle des Dames et Demoiselles unies pour s'édifier
en commun par de bons exemples réciproques,
avait, depuis bien des années, choisi, elle aussi,
pour préfète, M11' Iweios. Dans celte honorable
position, le zèle propagateur de cette chrétienne
fervente trouvait un moyen de plus de s'épancher
en Œuvres utiles et vraiment libérales. On sait
qu'il existe une association pour l'Adoration per
pétuelle du Très-Saint-Sacrementet l'entretien
décent du culte dans les églises pauvres. Que
peut on faire de plus grand que de s'humilier
devant Dieu, en l'adorant toujours; comment se
montrer mieux ami du pauvre habitant des cam
pagnes qu'en lui fournissant les moyens d'être
amené par la dignité du culte extérieur au senti
ment de la noblesse de la nature humaine restaurée
et assumée par le Fils de Dieu! M1U Iweins
sollicitait ses pieuses auiies de la Congrégation
d'entrer avec elles dans cette nouvelle Œuvre ac
tive, dont on la fit Vice-Présidente; comme on la
fit aussi Directrice de l'Œuvre de la Sainte-Enfance,
pour le rachat, le baptême, la conservation de la