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cluit et féconde dans les moyens quelle emploie
pour soulager les misères du pauvre, instruire
son ignorance et améliorer ses mœurs.
Elle voit la jeunesse des deux sexes, et prin
cipalement les garçons, négliger l'instruction
religieuse, tout juste Cage où le développement
de leur raison exige une nourriture plus forte
pour leur esprit; elle considère avec douleur,
comment ils sont exposés tous les attraits de
la séduction, au moment où sans expérience
aucune, ils sentent en eux-mêmes s'enflammer
le feu des passions La charité chrétienne
établit les écoles dominicales et les congréga
tions; dans les premières elle joint l'instruction
religieuse aux leçons de lecture, de calligraphie
et de calculdans les secondes elle offre aux
jeunes gens un lieu de réunion, où la récréation
honnête suivie de quelques exercices de piété,
leur procure un délassement leur travail,
affermit leurs sentiments religieux, et les met
l'abri des occasions dangereuses qu'ils ren
contreraient ailleurs.
La charité chrétienne connaît par expérience
que tous les efforts employés a l'égard des
enfants, pour les instruire, les moraliser, les
préserver, sont rendus bien souvent inutiles par
l'indifférence, l'insouciance, l'inconduite et les
mauvais exemples des parents.
Elle va chercher le mal sa racine; elle
s'adresse aux pères des familles, les réunit
tous les dimanches pour leur apprendre leurs
devoirs d'époux, de père chrétien. C'est l'œuvre
de la Sainte famille.
La mère de famille, la mère de famille pau
vre, oh! en elle la charité chrétienne découvre
un objet qui émeut puissamment ses entrailles!
Entre la charité chrétienne et la mère du
pauvre enfant du peuple, il s'est établi un lien
mystérieux; d'une part un dévouement sans
bornes, d'autre part une confiance illimitée.
La mère pauvre, oh! elle souffre tant! Quand
le moment arrive de mettre au monde celle
faible créature qui est son enfant et celui du
bon Dieu, elle regarde autour d'elle! elle ne
voit que dénûment, que misères; pas une de ces
langes où elle enveloppera l'être que ses entrail
les ont porté, ont réchauffépas une petite
couche pour l'y déposer! Et pour elle-même,
ah! elle ne songe pas elle-même; mais elle
est si faible pendant neuf mois elle a du nour
rir deux corps; et elle n'a pas eu de quoi en
nourrir un seul; maintenant elle ne pourra
jouir de l'une des joies que Dieu a réservées
pour la compenser de ses souffranceselle sera
incapable de nourrir son enfant de sa propre
substance
Les souffrances, la misère détruisent souvent
qui avaient bâte' la fin de Guillaume. Après la mort
du fermier, les choses étaient allées de mal en pis.
Les hypothèques avaient plu comme grêle sur le
modeste héritage, et Snzanne avait été obligée de
s'engager pour son frère. Les terres, n'étant plus
cultivées par des mains viriles, ne rapportaient
plus rien. Enfin, Jacques ayant disparu sans qu'on
sût où le retrouver, la ferme avait été vendue par
autorité de justice etl'arrivée du nouvel
acquéreur, il fallait que Suzanne en sortit.
Et votre berger, Étienne Picot? lui dis-je
alors pour essayer de la distraire.
Elle rougit, et me répondit d'une voix un peu
tremblante qu'Etienne s'était fait soldatb l'âge de
dix-huit ans; qu'il était depuis sept ans sous les
drapeaux, mais qu'elle n'en avait plus de nouvelles,
parce queson régiment avait été envoyéen Afrique.
Et Etienne, avant de partir, avait-i! appris
lire? lui demandai-je.
Oh! monsieur, il savait lire, écrire et comp
ter; son maître d'école disait qu'il irait loin et
dans le cœur de la mère ces sentiments de
tendressede dévouement que Dieu y avait
plantés, que la foi avait arrosés et qui devaient
produire des fruits durables de charité. Sur
chargée d'enfantsd'occupationsne songeant
qu'au moyen de trouver du pain pour ces
pauvres créatures qui lui disent sans cesse
mère, j'ai faim la mère a oublié de prier, elle
remplit peine ses devoirs religieux, son cœur
se dessècheet bientôt elle devient un je ne
sais quoi dont on ne trouve pas de ressemblance
même parmi les brutes... elle maudit Dieu et
ces enfants!
La charité chrétienne gémit; mais elle sait
que ses larmes ne pourront pas seules faire
disparaître une misère si profonde; elle agit
et établit l'association de la Maternité, pour
réhabiliter aux yeux de la foi et de L'humanité,
pour secourir celles que Dieu a associées si
intimement la grande œuvre de la propaga
tion humaine.
Qu'elles sont belles les œuvres de la charité
chrétienne; elles sauveront la société, aussi
longtemps que la société pourra être sauvée.
Et cependantil se trouve des hommes qui
méconnaissent son action bienfaitrice, qui en
suscitant des obstacles son action humani
taire, font couler ses larmes, qui la maudissent,
qui excitent le pauvre la défiance envers celle
qui l'aime si tendrement et lui porte des secours
si efficaces et si désintéressés.
Veut-on un spécimen de la sincérité de nos
adversairesIl faut seulement considérer leur
conduite l'égard de la remarquable étude de
M. Guizolintitulée La Belgique et le Roi
Léopold en i85y.
Ces hommes qui se dressent parmi nous
comme les porte-flambeaux de la lumière, qui
adressent leurs adversaires le reproche de la
cacher sous le boisseau et leur lancent la
figure le quolibet d'éteignoirs, il faudrait les
voir l'œuvre pour cacher aux yeux du public,
la lumière éclatante que le célèbre publiciste
français, vient de jeter sur la question de la
charité, et l'inconstitutionnelle conduite des
libéraux.
Leurs grands journaux refusent d'insérer
l'écrit de M. Guizot dans leurs colonnes, sous
prétexte qu'il est trop long. Ce prétexte peut
être une raison pour leurs petits journaux de
province; mais ceux-ci n'en soufflent mot, de
peur qu'il ne prenne envie leurs lecteurs, de
recourir ailleurs, pour le trouver.
Qui plus est, le mot d'ordre paraît avoir été
donné, de faire disparaître tous les journaux
qui reproduisent l'œuvre de M. Guizotde
mon pauvre père avait fini par le consulter sur tout.
Mais eofin, pourquoi s'est-il engagé? Était-
il malheureux ici
Celte question fit de nouveau monter la rougeur
aux joues pâlies de Suzanne. Elle allait me répou
dre, lorsque la porte se rouvrit; oous vîmes entrer
un jeune homme en petite tenue d'officier d'infan
terie. Suzanne tressaillit, et je me sentis ému sans
savoir pourquoi.
Mamselle Suzanne, dit-il d'une voix douce,
vous ne me reconnaissez pas; je suis votre petit
pâtre, Etienne Picot.
Suzanne l'avait bien reconnu, mais elle n'avait
pas la force de répondre; une larme mouillait ses
paupières je voulus venir son secours.
Et moi, dis-je h l'officier, me reconnaissez-
vous? Vous souvenez-vous de l'orage dans la
montagne, et du service que vous me rendîtes?
Oh! monsieur, me dit-il avec une émotion
profonde, comment vous obliernis- je? Ce que je
suis anjourd'hui, c'est vous que je le dois.
rompre toute conversation qui roulerait sur ce
sujet. Dès que l'on en parle, les orateurs des
cabarets imposent le silence, ou débitent les
plus grandes absurdités. Le croirait-on? il y a
de ces gens qui assurent avec un aplomb
imperturbable que M. Guizol a été soudoyé
par les Èveques Belges!!! Et les badauds
d'y ajouter foi!
Telle est la lumière qui éclaire le pays intel-
ligenttelle est la richesse d'esprit des hommes
qui y appartiennent.
Nous publierons ultérieurement quelques extraits
du remarquable travail de M. Guizot, l'illustre
publiciste français.
A considérer la guerre de l'Inde sous le rapport
politique et militaire, nous trouvons que l'Europe
n'a pas b s'en inquiéter beaucoup, attendu que
l'Angleterre seule en subira toutes les conséquences.
Mais il est un point de vue qui concerne l'Europe
tout entière nous voulons parler de la réaction
inévitable que la révolution hindoue exercera sur
le mouvement général du commerce et de l'indus
trie. Les relations de ce genre de la Grande-
Bretagne avec l'Hindoustan sont interrompues;
les prochaines nouvelles annonceront une longue
série de failliteset maintes combinaisons des
spéculateurs seront déjouées. Dès lors se manifes
tera sur le marché anglais un trop plein fâcheux
qu'on essaiera de déverser sur le continent. Toutes
les marchandises destinées l'Asie se replieront
sur les places d'Europe, où il est prévoir que la
crise ne tardera guère b se faire sentir. Nous
croyons devoir soumettre ces remarques b l'esprit
prudent de nos industriels et de nos négociants,
afin de les préparer aux circonstances difficiles qui
ne manqueront pas de se produire cet hiver. Si le
pessimisme est blâmable, l'optimisme peut être
très-fâcheux, et, en somme, la vérité est toujours
la meilleure chose b dire.
M. Eugène Sue, atteint depuis plusieurs mois
d'une affection de la moelle épinière, vient de
mourir b Annecy, b l'âge de 56 ans. Son père et
son grand-père avaient pratiqué avec distinction
la médecine, qu'il étudia lui-même jusqu'à ce que,
vers 1826, il s'adonna b la littérature. Les ouvrages
de M. Eug. Sue sont trop connus pour les énumérer
dans ces quelques lignes; ce que l'on peut dire,
c'est que tous les appréciateurs de son remarquable
talent d'écrivain ont déploré la tendance subversive
que, depuis le roman de Mathilde, le romancier a
donné b ses œuvres. Que reste-t-il maintenant de
ces enthousiasmes de l'esprit de parti? M. Ver-
haegen, par exemple, ferait-il aujourd'hui, comme
il y a dix ans, le voyage de Bruxelles b Paris, afin
de remettre, en mémoire du Juif-Errant, une
médaille d'or b M. Eugène Sue?
aaaîCi»
Je l'interrogeai du regard Suzanne l'écoutait
avec une expression de douloureuse tendresse sur
laquelle je ne pouvais me méprendre.
Vous savez, Monsieur, reprit Étienne, que
ce fut vous qui décidâtes mon pauvre maître a me
laisser aller b l'école? J'y appris tout ce qu'on y
enseignait; mais ce n'était pas assez. A mesure que
mon esprit s'ouvrait, b mesure qu'y pénétraient des
idées nouvelles, je commençai aussi b éprouver
d'autres émotions inquiet, agité, malheureux,
forcé de cacher b tous les yeux un sentiment dont
j'avais peur et honte, je compris que si je voulais
échapper b ce qui me torturait le cœur, je devais
quitter la ferme et prendre un état qui me plaçât
entre ces deux espérances: me distinguer ou mou
rir. Je me fis soldat; c'est la, monsieur, que je pus
reconnaître l'étendue de votre bienfait; pendant
que mes camarades, aussi braves que moi, ne
pouvaient avancer, faute de savoir lire, je passai
successivement par tous les grades inférieurs.
{Pour être continué.)