43me Année.
Samedi 10 Mars 1860.
No 4,428.
LE PROPAGATEUR.
POUR LA VILLE 6 FR. PAR AN,
4 FR. POUR 6 MOIS, 2-50 POUR
TROIS MOIS.
FOI CATHOLIQUE. CONSTITUTION BELGE.
POUR LE DEHORS FR. 7-50 PAR
AN, 5 FR. POUR 6 MOIS, 2-75
POUR 3 MOIS.
7 S G iO .MARS.
REVUE POLITIQUE.
Quelles seront les conséquences du refus par le
Piéinool, de sesonmettre aux nouvelles conditions
que l'Empereur roel son alliance? L'Empereur
l'abandonnera-1 - il réellement dans le cas d'une
nouvelle guerre contre l'Autriche; laissera -1 - il la
punition de la Sardaigrie descendre du Quadrilatère,
et obtiendra -1-il ainsi de l'Autriche son assenti
ment l'annexion de la Savoie et de Nice? Ou
bien le silence obstiné de M. de Cavour sur cette
question de la Savoie cache-t-il, non pas un refus,
mais un consentement; et grâce 'a cette concession,
l'Empereur fera-1-il assez bon marché du nouveau
programme? Cette dernière hypothèse est plus
probable.
Napoléon n'a peut-ère parlé de l'autonomie de
la Toscane et du vicariat des Romagnes que pour
dégager, dans une certaine limite, «a responsabilité,
ou peut-être pour se donner le droit, en se basant
sur le refus du Piémont d'accepter ses nouvelles
propositions, d'occuper militairement la Savoie et
Nice, sauf b exposer ensuite aux grandes puissances
que le Piémont refusant de se soumettre b ses con
seils, les conditions où l'on se trouvait au ir mars
ont été changées et qu'il a dû agir sans retard.
Nous pensons, au reste, qu'une menace sérieuse
de complet abandon amènerait le Piémont b bien
d'autres concessions encore que la séparation delà
Savoie. Un article de l'Opinione fait pressentir
que celte concession serait déjb faite; l'Empereur,
s'il le veut, en obtiendra d'autres; et peut-être le
voudra -1 - il faire, pour ne pas se trouver isolé en
Europe.
On annonce déjb de Berlin que la Russie et la
Prusse protesteront contre la réunion de la Savoie
b la France. Pour ne point se trouver seul en Eu
ropeNapoléon devrait alors se rapprocher de
l'alliance autrichienne. D'autres motifs encore
paraissent le pousser dans cette voie.
Aidsi l'affaire de l'isthme de Suez se réveillerait
de son long sommeil, et M. de Lesseps se serait cru
autorisé a réorganiser des ateliers pour sept ou huit
mille travailleurs. Ainsi encore, les cabinets de
Londres et de Paris ne seraient pas d'accord sur le
caractère des instructions b donner b leurs pléni
potentiaires eu Chine.
Le premier voudrait obliger lord Elgin b essayer
de tous les moyens de conciliation avant d'en venir
b l'emploi de la force, tandis que le second insis
terait pour laisser au baron Gros toute liberté
d'agir selon que le demanderaient ou le permet
traient les circonstances.
Une dépêche de la télégraphie privée, en date
de Marseille le 8, nous transmet des nouvellei
assez sombres de Constantinople mésintelligences
entre les ministres; irritation des provinces contre
l'emprunt forcé; réclamations des Européens au
sujet de I impôt sur les loyers et b l'occasion des
pénalités qui violent les capitulations; rappel des
rédifs et double recrutement dans la prévision
d'événements graves. On paraît craindre des soulè
vements pour le printemps prochain. Serait-ce le
commencement de l'agoDie du maladeEt la
succession de la Sublime Porte, venant b s'ouvfir,
apporterait-elle b l'Europe de nouvelles compli
cations?
Ce n'est pas seulement en Europe que le» anne
xions de territoire sont une question b l'ordre du
jour. A en croire une publication que vient de faire
un journal de New-York, le cabinet de Washing
ton songerait sérieusement b en venir a uneoccu-
pation du Mexique, et il aurait arrété un plan
d'annexion dont l'exécution serait confiée proba
blement au général Houston. Naturellement les
libéraux, toujours amis siucères des nationalités,
s'en réjouissent hautement.
Une objurgation libérale qui tend b déverser sur
le parti conservateur toutes sortes de calomnies et
d'injures, b cause de son antipathie b la guerre
italienne, alimente encore la polémique des feuilles
doctrinaires. A les en croire, les conservateurs
détestent de cœur et d'âme la liberté, ils abhorrent
la nationalité belge, et la preuve, c'est qu'ils
combattent la révolution qui veut rendre les Ita
liens libres et heureux, c'est qu'ils refusent b
ceux-ci ce qu'ils réclamaient pour eux-mêmes en
i83o.
Nous ne nous attacherons pas b établir qu'il n'y
a aucune analogie entre la situation de la Belgique
en t83o et celle de l'Italie en i85g et 1860;
d'autres journaux ont entrepris cette tâche et l'ont
parfaitement remplie; mais voici ce que nous
voulons démontrer: en blâmant la guerre d'Italie,
les conservateurs sont restés fidèles b leurs princi
pes, ils ont protégé efficacement celui de l'indé
pendance belge, tandis que leurs adversaires,
emportés par le flot de la révolution, ont applaudi
b uue entreprise, dont la conséquence inflexible est
la destruction de la nationalité de notre pays. Ce
danger, évident b tous les yeux, n'a point frappé
nos doctrinaires myopes, et aujourd'hui ils se
trouvent dans la position de ceux qui acceptent les
prémisses et repoussent les conséquences.
En prenant fait et cause pour la révolution
contre l'Autriche, Napoléon s'attaquait b toutes les
forces conservatrices de la société les hommes
d'ordre, les gouvernements et la religion il affai
blissait dans l'Autriche l'adversaire politique et
dsns Rome l'adversaire religieux de la démagogie;
il agitait le principe des nationalités tel que la
révolution le comprend et qui est, comme l'a dit
M. Dechamps, la négation la plus nette et
le dissolvant le plus énergique de l'Europe, de
l'histoire, des traditions, des traités, des faits
politiques.
De cet écart déplorable et délétère devait naître
un immense danger pour les petits peuples indé
pendants, pour les nations qui n'existent qu'en
vertu des traités, et ce danger il est né pour la
Belgique, pour ce pays dont les gouvernants et leur
parti applaudissaient b la guerre italienne.
Ce danger, Napoléon lui-même l'a indiqué dans
son discours du i" mars il a réclamé les versants
français des Alpes, il a revendiqué le comté de
Nice et la province de Savoie.
Personne n'a pu et n'a voulu le nier cette
revendication, sortie de la guerre d'Italie, est un
acheminement vers une autre exigence, celle des
frontières naturelles du Rhin lord John Rnssell
lui-même l'a écrit dès le 5 juillet i85g: Si la
Savoie doit être annexée h la France, disait-il,
on supposera généralement que la limite du
Rhin comme frontière naturelle sera la matière
d'une prochaine discussion. Cela est évident,
et ce qui ne l'est pas moins, c'est que Napoléon
obtiendra les versants français qu'il réclame
aujourd'hui, comme il obtiendrait les frontières
naturelles do Rhin, s'il les revendiquait demain.
Et qu'on ne se récrie point, qu'on ne se rapporte
pas b l'opposition que, le cas échéant, Napoléon
rencontrerait de la part des grandes puissances.
Voyez, répondrons nous, ce qui se passe l'Angle
terre, qui s'était d'abord si fortemeut gendarmee
contre l'annexion de la Savoie, rengaine déjà ses
objections, et l'organe le plus influent de l'opinion,
le Times, veut mettre aux petites-maisons l'An
glais qui tenterait de s'opposer par les armes aux
idées de conquête de Napoléon.
L'opposition des autres gtandes puissances, dans
l'état actuel des choses, serait tout aussi anodine,
car nous sommes en présence de gouvernements
divisés, passionnés, aveuglés; M. Dechamps l'a
très bien dit: L'histoire n'offre b aucune de ses
pages, un spectacle pareil b celui auquel nous
assistons consternés. La destruction des tiaités,
voyez comme on l'active; la dissolution de
l'Europe historique, regardez comme chacun y
concourt; le renversement de l'ancien droit
public, auquel chaque puissance doit son exis-
tence et sa force, comme on y aide et comme on
y applaudit. Au lieu des principes qui unissaient,
on a les haines qui divisent l'Autriche se réjouit
de l'isolement et de l'affaiblissement de la Russie
en i854; la Russie, l'Angleterre et la Prusse
laissent isoler et affaiblir l'Autriche en 1858
l'Angleterre et la Russie se regardent comme
trop éloignées du foyer révolutionnaire, l'une
par la mer, l'autre par les espaces, pour ne pas
être b l'abri du danger que court le reste de
l'Europe; l'empire français pense qu'il est de sa
politique de se servir de ces jalousies et de ces
divisions pour renverser l'Europe de i8t5 au
profil de la France.
Ainsi est-il, et le jour où il plaira b Napoléon
de placer ses douaniers sur les rives du Rhin,
les grandes puissances se trouveront en proie aux
défaillances qui les accablent aujourd'hui, et alors
adieu nationalité, aujourd'hui indépendance et
liberté belges!
Cet état de choses est sorti de la guerre d'Italie,
de cette guerre pour laquelle nos libéraux n'ont eu
que des bravos, et il se trouve, en fin de compte,
qu'ils ont applaudi b des événements gros de
la destruction de notre nationalité, gros de notre
annexion b la France! Les bons patriotes que
messieurs les doctrinaires! Les excellents royalistes
que messieurs les libéraux qui ont trépigné de joie
en voyant l'Autriche, que de doubles liens atta
chent b la dynastie belge, battue et défaite b
Magenta et a Solferino! Toujours passionnés,
toujours aveugles, ils souscrivent aujourd'hui pour
les fusils de Garibaldi, conspirant ainsi toujours et
partout avec les ennemis de notre chère patrie.
[Patrie.)