que tont se trouble sur la terre,et qu'aucun pouvoir
humain ne saurait effacer lui-même, a savoir
Que la force ne constitue pas le droit}
Que le succès ne justifie rien (i);
Que la parole humaine est sacrée, et que la violer
c'est un crime
Que la politique n'a jamais le droit d'appeler le
bien mal, et le mal bien;
Que la félonie et la trahison seront tonjonrs
méprisées par tout ce qui a un cœur d'homme;
Que l'éternelle justice vit dans la conscience
humaine comme une impérissable protestation
contre toute iniquité triomphante;
Qu'il y a une vertu dans le dévouement, nne
fécondité dans le sacrifice, une force dans l'honneur;
Que la foi, la conscience, l'âme sont des choses
plus précieuses que la vie, puisqu'on donne sa vie
pour elles;
Que Dieu enfin a rais dans l'homme quelque
chose de divin et d'immortel, puisqu'il nous a
faits capables de trouver du bonheur, même
dans la mort (a).
Et voilà pourquoi, jeunes martyrs, qui avez péri
pour rendre témoigoage ces grands principes, je
ne puis pleurer votre mort, ni me plaindre de ce
que, dans la fleur la plus aimable de votre jeunesse,
vous avez donné le fruit le plus glorieux de la
plus belle maturité!
Périclès disait autrefois, en pleurant sur les
jeunes guerriers morts pour la patrie L'année
a perdu son printemps Nous dirons, nous Au
printemps de votre vie, l'Église a vu mûrir en
vous, pour elle, sous le poids de la chaleur et du
jour, une moisson de gloire.
Qu'ont-ils encore attesté, Messieurs? Ils ont
attesté l'honneur de notre natiou
Que la France, dans une partie de ses enfants,
est toujours la France de Charlemagne et de
Saint-Louis;
Que le pays qui envoyait jadis ses plus vaillants
chevaliers mourir pour le tombeau du Christ, n'a
pas épuisé tout ce géoéreux sang, puisqu'il en
conserve encore assez pour en verser sur le tombeau
des apôtres;
Que le cœur de la France, si on ne l'élouffe pas,
si on lui laisse son battement naturel, bat toujours
pour l'Église catholique. Voilà ce qu'ils ont
attesté, et c'est pourquoi je les regarde comme les
martyrs, non seulement de l'Église et du droit,
mais comme les martyrs de l'honneur français.
Et tout cela, messieurs, ils l'ont attesté avec leur
sang. Et il le fallait oui, il faut que tout témoignage
fort aille jusque-là, jusqu'à l'effusion du sang,
c'est-à-dire jusqu'au grand témoignage de l'amour.
La plus haute vertu du témoignage, c'est la vertu
du sang versé. Il y a dans le sang versé par le
martyre une vertu régénératrice. Quand le sang
coule par un libre dévouement, par un martyre, ne
craignez rien l'iniquité ne triomphe pas encore,
la tyrannie oe prescrit pas, la conscience n'est pas
eucore éteinte, et sa voix terrible peu toujours
épouvanter les tyrans: un peuple dont les fils
savent mourir n'est pas un peuple qui puisse être
asservi.
Mais quand un peuple est amolli, quand les âmes
sont énervées, quand les cœurs sommeillent, quand
on oe compreud plus la grandeur morale, ni la
vertu du sacrifice, quand les intérêts matériels
deviennent souverains, quand il y a des hommes
qui disent Donner son sang, mais pourquoi Se
faire tuer, c'est uoe folie! mieux vaut vivre; r> oh
alors, il faut des héros, des martyrs; les sociétés ne
se sauvent qu'à ce prix il faut des âmes illustres,
illustres animasil faut des hommes généreux
qui se fassent briser pour la justice, interjecti
propter justitiam, qui aillent la mort comme
un festiu et qui s'écrient Si la terre manque sur
nos pas, il y a le ciel! Il faut cette folie sublime
qui va secouer la torpeur des peuples, qui relève
ies âmes, qui retrempe les caractères qui illumine
les conscieuces, qui éblouit d'un rayou suprême la
foule stupide elle-même qui enfante les héroïsmes,
les trépas magnifiques, toutes les grandes choses par
lesquelles sont sauvées les nations.
(1) lisez ce sujet l'admirable lettre de Mgr Féveque
de Nantes, du 28 septembre.
(2) Bosscet, Discours pour la profession de JIme Lavallière.
Mais je n'ai pas dit, messieurs, toute leur gloire
en voici un nouveau aspect, le plus rayonnant
peut-être.
Je l'ai dit le martyr, c'est un témoiD. Les
martyrs sont les témoins de Dieu dans le grand
duel du bien et du mal. Qu'est-ce que cela signifie
le voici, messieurs
Il y a entre le bien et le mal, entre la mort et la
vie, un duel éternel sur la terre, et l'Église l'a
énergiquemeot exprimé daos l'originalité de son
grand langage Mors et vila duello conflixere
mirando.
Dieu le permet, ce duel; et pourquoi? Pour
perpétuer ici-bas les plus grandes choses qui puis
sent illustrer l'humanité la foi, le courage, l'hon
neur, la lotte inviocible, le triomphe, et, ce qui est
plus beau encore que le triomphe, l'agonie pour la
justice.
Eh bien, dans ce duel, il y a des êtres prédestinés
être les témoins, les répondants du bien, de
l'hooneur, de la justice.
Si vous voulez les rencontrer en ce monde, ces
nobles prédestinés, cherchez-les sur les hauteurs!
Il y a quelque chose en eux qui n'est pas dans le
commun des hommes et qui vous les sigoalera
vous les reconnaîtrez leur front, leur regard.
Il y a sur leur front un signe d'honneur, et dans
leur regard uoe flamme de vie.
Ils marchent l'écart, sur les sommets, loin des
bassesses, loin des cupidités, loin des ambitions,
loin des égoïsraes...
La foule les admire ou les maudit. N'importe
ils vont toujours.
Ces champions prédestinés des causes glorieuses
et désespérées, le poète l'a dit dans son sublime
langage, ils sentent en eux une impatience du
repos, nue inquiète ardeur, je ue sais quelle soif ou
des combats ou des grandes entreprises.
Aut pugnam, aut aliquid jamdudum iovadere maguura
Mous agitat mihi, uec placidà contenta quiete est.
Alors, la Justice vient eux ils la voient dans
sa pure et sereine lumière et elle leur dit Veux-
tu être mon témoin, mon second
A ceux qui n'ont jamais vu cette lumière, ceux
qui n'ont jamais entendu cet appel, je les plains
ils n'ont rien vu, rien entendu sur la terre
Mais non qui que nous soyons, dans quelque
condition que la Provideoce nous ait fait naître,
quelque destinée qu'elle nous réserve, il y a un
moment solennel dans la vie, où la question nous
est posée, et où il faut répondre. Le plus obscur
mortel comme le plus illustre est appelé l'hon
neur de ce noble choix, et a sa place dans les rangs
de la glorieuse armée.
Il n'y a pas un homme assez délaissé de la Pro
vidence dans le monde, pour qu'un jour cette voix
de la justice n'ait pas retenti aux oreilles de son âme
et ne lui ait dit Veux-tu être mon second!
Quiconque n'est pas délaissé a entenducette voix.
Veux-tu être mon second? Et eux, ces
glorieux prédestinés, répondent dans leur cœur
Oui, je le veux
Et alors la Justice leur ouvre son champ-clos:
noble et étroite arène, mais dont les horizons sont
infinis, et il y a là de quoi satisfaire largement le
profond besoin de leurs âmes; car la lutte pour la
justice est incessante ici-bas, et presque toujours
aussi elle est terrible on y meurt.
Ceux donc qui combattent ces nobles combats,
qu'ils tiennent une plume ou une épée, et ceux
qui tiennent l'épée sont les plus glorieux, parce
qu'ils vont plus souvent la mort, ceux-là sont
ici-bas les témoins, les seconds de la justice et de
l'honneur divin.
Heureux oui, trois fois heureux malgré la
rigueur du combat,ceux qui sont les prédestinés des
saintes luttes! Heureux donc nos jeunes amis
Cîr cette voix qui leur disait Veux-tu être
mon témoin? ils ont tous répondu Nous le
vouloos. Vous serez seuls. Nous le vou-
Ions. Vous mourrez. Nous le voulons...
Et ils ont été les témoins de Dieu dans le grand
duel entre le bien et le mal; et ils sont tombés!...
Ils sont tombés, mais ils n'ont pas été vaincus.
Encore une fois doncces héroïques jeunes
gens, et l'honneur de leur mémoire, je répétera:
avec bonheur la grande parole Beati eritis,
quoniam quod est honoris, gloriœ, et virtutis
Dei super vos requiescil. Oui, vous êtes bien-
heureux, car ce qui reste encore ici-bas d'hon-
neur et de gloire pure repose sur vous, avec la
vertu de Dieu.
La vertu de Dieu! c'est sa force que rien
n'ébranle eh bien! ajoutons ce dernier trait ils
moururent comme autrefois les premiers martyrs,
pleins de cette force sublime; mais c'est dans la foi
et la piété la plus fervente qu'ils la puisèrent.
Et n'est-ce pas ainsi que tomba l'héroïque et
pieux Pimodan? Frappé d'une première balle:
Courage, s'écrie-t—il, Dieu est avec nous! Et
devant la mort partout présente, il avançait tou
jours. Uoe seconde balle l'atteint, et la même parole
tombe de ses lèvres Dieu est avec nous! Et le
coup suprême le trouva la répétant encore.
Autrefois Judas Macbabée disait ces vaillants
compagnons d'armes Accingimini et estole
filiipotentesrevêtez-vous de force, et soyez les
fils de la vaillance et du courage, et demain soyez
prêts, dès le matin, pour le combat, et estole
parati ut mane pugnetis; car il vaut mieux
pour nous mourir bravement dans la guerre que
de voir les maux de la Cité sainte, melius est
nos mori in bello quam videre mala sancto-
rum. Et, après tout, qu'il soit fait de nous selon
la volonté de Dieu dans le ciel, sicut autem
fuerit voluntas in ccelo, sic fiât i).
Je vous le demande, messieurs, n'est-ce pas une
exhortation de cette nature qu'adressait ses jeunes
soldats leur digne commandant, la veille de ce jour
qui devait éclairer leur première bataille?
La veille au soir, M. de Becdelièvre nous dit
Mes cbers amis, j'ai toujours été franc avec vous.
Je vous annonce ce que beaucoup n'oseraient
vous dire demain, nous aurons une matinée
chaude; réglez vos papiers pour l'éternité, comme
je l'ai fait moi-même.
Demain, nous devons tous communier, écri
vait sa mère un de ces jeunes volontaires.
En allant au combat, écrivait un autre, je
demandais Dieu de faire mon devoir et de bien
mourir.
Tant qu'a duré le combat, je n'ai pas perdu de
vue le dôme de Lorette. C'est doux
penser, ma bonne mère, disait un autre, en
s'adressant la sainte Vierge, une balle me met-
tra peut-être avec vous dans cinq minutes.
Sanctuaire vénéré de Lorette! ils te voyaient
donc en combattant, et tu leur apparaissais comme
l'asile ouvert leurs âmes, et leurs regards mourants
se tournaient vers toi avec consolation et avec
espérance.
O vous, qui fûtes leurs mères sur la terre, et qui
les avez envoyés là, ah! ne les pleurez pas, ces
glorieux enfants car ils ne sont pas morts, ils
vivent! Aux yeux des insensés, ils ont paru mou
rir, visisuntoculis insipienlium mori. Mais leurs
âmes sont dans la main de Dieu, et le tourment de
la mort ne les touche point; in manu Dei sunl et
non langtt illo tormentum morlis. Leur trépas a
été estimé une affliction par les cœurs faibles; le
glorieux chemin par lequel ils semblent s'être
éloignés jamais de ces regards a paru les conduire
l'extermination œstimata est affliclio exitus
eorum et quod a nobis est iter exterminium.
Mais noo, ils sont dans la paix, daos la joie, où
votre regard les contemple avec une douceur mêlée
de larmes, daos la sérénité de Dieu, et leur espé
rance est pleine de vie et d'immortalité, spes
illorum immorlalitate plena est (2).
Retrempés dans la sainteté de leur cause et de
leur dévouement, purifiés par le sang de l'agneau
et dans leur propre sang, ils n'ont fait que con
quérir par leur trépas une vie immortelle; car le
prix reserve aux athlètes des sa in (s combats, des
combats purs et sans tache c'est la couronne de
1 immortalité Casla generatio in perpetuum
coronata triomphal incoinquinalorum certami-
num prœmium oincens 5j.
(Pour être continué.)
(1) Macliab. m, v. 58, 59, 60.
(a) Sap., lit et seq.
(3) Sap.t iv et seq.