D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
53me Année.
Samedi 25 Septembre 1869.
No 5,424.
Il est peu près certain aujourd'hui que
le gouvernement français ne compte pas
réunir le Corps législatif avant la fln du
mois d'octobre. Ce délai aurait été jugé
nécessaire pour achever l'élaboration des
divers projets de loi qui doivent être discu
tés pendant la session. A part cette consi
dération, dont on ne saurait nier la valeur,
un autre motif encore paraît avoir déter
miné le gouvernement ne pas se rendre
aux instances des quelques députés de la
gauche qui réclament une convocation plus
prompte. Au dire d'un correspondait pari
sien du A'ord, le ministère aurait consulté
les préfets pour savoirsi l'opinion publique
dans leurs déparlements était vraiment
aussi impatiente que certains journaux le
disent de voir rouvrir la Chambre avant le
26 octobre. Les préfets ont répondu que
les populations étaient fort calmes et qu'el
les demandaient au contraire une trêve
plutôt qu'une reprise des débals parlemen
taires. On a conclu que l'agitation créée
pour la convocation de la Chambre avait
un caractère factice, et l'on ne s'est pas
autrement ému de l'appel adressé par M.
de Kératry ses collègues, et auquel uu
seul, M. Marion, a jusqu'à présent répondu.
Réduite ces deux personnages, la répé
tition annoncée de la fameuse scène du
serment du Jeu de Paume n'a rien qui
puisse inquiéter le gouvernement impérial.
On croit que les Chambres badoises, qui
viennent de se réunir, auront se pronon
cer sur le projet d'accession du grand-du
ché la Confédératiou du nord de l'Alle
magne. En attendant, la propagande prus
sienne s'organise sérieusement dans ce
pays. Les membres des quatre comités an
nexionnistes, ont dû se réunir hier Caris-
ruhe, pour arrêter un programme détaillé
qui sera porté la connaissance des sous-
comités, dont le nombre est de vingt-cinq.
Cette réunion doit être présidée par un
député badois, qui vient de faire tout ré
cemment un voyage Berlin afin de s'en
tendre sur la ligne de conduite suivre
pour arriver au but qu'on poursuit. Le
parti annexionniste n'a pas la majorité
dans le pays, mais il s'agite beaucoup.
Une correspondance de Varsovie mande
que l'argent recueilli par le clergé en Po
logne pour le Pape a été confisqué par les
autorités russes. Cet argent servira sans
doute recompenser des généraux ou des
fonctionnaires moscovites. C'est ainsi que
le Tsar trouve moyen d'exercer sa muniû-
sence au préjudice de la Pologne, comme
c'est sur celte terre martyre qu'il ne cesse
de prendre d'opulentes dolations pour ses
généraux.
La Gazette d'Augsbourg signale une re
crudescence de l'animosité qui règne con
tre les Russes daus les provinces baltiques.
Les dépêches de Madrid continuent
présenter la situation sous un jour fort
sombre. Les scènes déplorables de Tarra-
gone ont abouti l'arrestation du général
Pierrad et d'une soixantaine d'individus.
Il paraît, en outre, que la manifestation ré
publicaine de Sarragosse a eu un certain
retentissement dans la péninsule. Aussi
est il question de présenter aux Cortès,
dès leur réunion, une loi d'ordre public
qui serait discutée d'urgence.
L'opinion, aux Etats-Unis, paraît divisée
sur la question de savoir quelle attitude le
gouvernement fédéral devra prendre dans
l'affaire de Cuba. Quelques journaux de
mandent le rappel du général Sickles de
Madrid, afin de calmer l'irritation que sa
note a provoquée en Espagne. D'autres
journaux.au contraire,sont d'avisqu'avant
peu le cabinet de Washington sera amené
reconnaître comme belligérants les in
surgés de Cuba.
Le P. Hyacinthe vient d'adresser la lettre
suivante au R. P. général des Carmes-
Déchaussés, Rome.
L'heure présente est solenoelle. L'Église tra
verse l'une des crises les plus violentes, les plus
obscures et les plus décisives de son existence ici-
LE PROPAGATEUR
FOI CATHOLIQUE. - CONSTITUTION BELGE.
RENEE POLITIQUE.
Au R. P. général des Carmes-Déchaussés,
Rome.
Mon 1res-réwérend père,
Depuis cinq anodes que dure mon ministère
Noire-Dame de Paris, et malgré les attaqoes ouver
tes et les délations cachées dont j'ai été l'objet, votre
estime et votre confiance ne m'ont pas fait on seol
instant défaut. J'en conserve de Dombreux témoi
gnages écrits de votre main, et qoi s'adresseot 'a
mes prédications autant qu'A ma personne. Quoi
qu'il arrive, j'en garderai un souvenir reconnaissant.
Aujourd'hui, cependant, par un brusque chan
gement, dont je ne cherche pas la cause dans votre
cœur, mais daos les menées d'on parti tout-puissant
h Rome, vous accuser ce qoe vous eocouragiez, vous
blâmez ce que vous approuviez, et vous exigez que
je parle un laogage ou que je garde un silence qui
ne seraieot plus l'entière et loyale expression de
ma conscience.
Je o'he'site pas un instant. Avec une parole
faussée par un mot d'ordre, oo motilée par des ré
ticences, je ne saurais remouler dans la chaire de
Notre-Dame. J'en exprime mes regrets l'intelli
gent et courageox archevêque qui me l'a ouverte
et m'y a maintenu contre le mauvais vouloir des
hommes dont je parlais tout h l'heure. J'en exprime
mes regrets b l'imposant auditoire qui m'y environ
nait de son attention, de ses sympathiesj'allais
presque dire de son amitié. Je ne serais digne ni de
l'auditoire, ni de l'évèque, ni de ma conscience, ni
de Dieu, si je pouvais consentir b jouer devant enx
un pareil rôle!
Je tn'élo gne en même temps du couvent que
j'habite, et qui, dans les circonstances nouvelles
qui me sont faites, se change pour moi en une prison
de l'âme. En agissant ainsi, je ne suis point infidèle
b mes vœux j'ai promis l'obéissance monastique,
mais dans les limites de l'honnêteté de ma con
science, de la dignité de ma personne et de mon
ministère. Je l'ai promise soos le bénéfice de cette
loi supérieure de justice et de royale liberté, qui
est, selon l'apôtre saint Jacques, la loi propre du
chrétieo.
v C'est la pratique plus parfaite de cette liberté
sainte que je suis venu demander au cloître, voici
plus de dix années, dans l'élao d'un enthousiasme
pur de tout calcul humain, je n'ose pas ajouter
dégagé de toute illusioo de jeonesse. Si, en échange
de mes sacrifices, oo m'offre aujourd'hui des chaî
nes, je n'ai pas seulement le droit, j'ai le devoir de
les rejeter.
bas. Pour la première fois, depuis trois cents ans, on
Concile œcuménique est non-seulement convoqué,
tuais déclaré nécessaire ce sont les expressions du
Saint-Père. Ce n'est pas dans un pareil moment
qu'on prédicateur de l'Evangile, fut-il le dernier
de tous, peut consentir a se taire, comme ces
chiens muets d'Israël, gardieos infidèles b qui le
prophète reproche de ne pouvoir aboyer Canes
muti, non valentes latrare.
Les saints ne se sont jamais tus. Je ne sois pas
l'on d'eux, mais toutefois je me sens de leur race
filii sanclorum sumus et j'ai toojours
ambitionné de mettre mes pas, mes larmes, et, s'il
le fallait, mon sang daos les traces où ils ont laissé
les leurs.
J'élève donc, devant le Saint Père et devaut le
Concile, ma protestation de chrétien et de prêtre
contre ces doctrines et ces pratiques, qui se nom
ment romaines, mais ne sont pas chrétiennes, et
qui, dans leurs envahissements, toujours plus auda
cieux et plus funestes, tendent b changer la con
stitution de l'Eglise le fond comme la forme de
son enseignement, et jusqu'à l'esprit de sa piété.
Je proteste contre le divorce impie aotaot qu'in
sensé qu'on s'efforce d'accomplir entre l'Église,
qui est notre mère selon l'éternité, et la société du
dix-neovième siècle,dont noussommes les fils selon
le temps, et envers qui noos avons aussi des devoirs
et des teodresses.
Je proteste contre celte opposition plus radicale
et plus effrayante encore avec la nature humaine,
atteinte et révoltée par ces faux docteurs dans ses
aspirations les plus indestructibles et les plossaiotes.
Je proteste par-dessus tout contre la perversion
sacrilège de l'Évangile du Fils de Dieo lui-même,
dont l'esprit et la lettre sont également foulés aux
pieds par le pbarisaïsme de la loi nouvelle.
Ma conviction la plus profonde est que, si la
France en particulier et les i aces latines en général
sont livrées b l'anarchie sociale, morale et religieuse,
la cause principale en est, non pas sans doute dans
le catholicisme lui-même, mais daos la manière
dont le catholicisme est depuis longtemps compris
et pratiqué.
J'en appelle au Concile qoi va se réunir pour
chercher des remèdes b l'excès de nos maux, et pour
les appliquer avec autant de force que de douceur.
Mais si des craintes, que je ne veux point partager,
venaieut a se réaliser, si l'augoste assemblée n'avait
pasplus delibertédans ses délibérations qu'elle n'eu
a déjà dans sa préparation, si, eo oo root, elle était
privée des caractères essentiels un concile œcu
ménique, je crierais vers Dieu et vers les hommes
pour en réclamer un autre, véritablement réuni dans
le Saint-Esprit, non daos l'esprit des partis repré
sentant réellement l'Eglise universelle, non le si
lence des uns et l'oppression des autres. Je souffre
cruellement b cause de la fille de mon peuple; je
pousse des cris de douleur, et l'épouvante m'a saisi.
N'est-il plus de baume en Galaad et n'y a-t il
plus l'a de médecin? Pourquoi donc n'est-elle pas
fermée, la blessure de la fille de mon peuple?
(Jérémie VIII.)
Et enfin j'en appelle b votre tribunal, Seigneur
Jésus Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello.
C'est en votre présence que j'écris ces lignes; c'est
b vos pieds, après avoir beaucoup prié, beaucoup
réfléchi, beaucoup souffert, beaucoup attendu, c'est
b vos pieds que je les signe. J'en ai la coofiance, is
les hommes les condamnent sur la terre, vous les
approuverez dans le ciel. Cela me suffit pour vivre
et pour mourir. fr. hyacinthe.
Supérieur des Carmes-Déchaussés de Paris
deuxième défiuiteur de Tordre dans la pro
vince d'Aviguou.
n Pari.i-Pttfy, le 20 septembre 18G9.